« Contestation et affirmation du principe national : mouvements internationalistes et la crise des démocraties dans l’Europe de l’entre-deux-guerres » : différence entre les versions
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=== L’obsession anticommuniste et la crainte des « Rouges » en Europe centrale === | === L’obsession anticommuniste et la crainte des « Rouges » en Europe centrale === | ||
L’ensemble des événements révolutionnaires qui traversent l’Europe centrale et orientale après 1917 — depuis l’expérience soviétique en Russie jusqu’à la République des Conseils de Béla Kun en Hongrie — suscitent un profond climat d’inquiétude et de mobilisation contre-révolutionnaire. Pour de larges segments des élites politiques et sociales européennes, ces insurrections nourrissent la conviction qu’un vaste projet de révolution mondiale communiste est en marche, piloté depuis Moscou, et susceptible de renverser l’ordre établi dans tous les États européens. Cette crainte des « Rouges » devient rapidement un élément structurant des politiques intérieures et internationales de l’après-guerre, et contribue à alimenter durablement la polarisation idéologique de l’entre-deux-guerres. | |||
En Hongrie, l’épisode de la République des Conseils reste particulièrement déterminant dans la formation de cette obsession anticommuniste. L’expérience bolchevique hongroise, bien que brève et géographiquement circonscrite, est perçue comme une répétition générale d’une insurrection prolétarienne capable de s’étendre à l’ensemble de l’Europe centrale. Cette perception alimente l’idée d’une conspiration révolutionnaire globale, même si, dans les faits, les capacités matérielles des bolcheviques hongrois et leurs relais internationaux demeuraient limités. Le spectre d’une insurrection coordonnée par Moscou devient néanmoins un puissant levier de mobilisation pour les forces conservatrices, réactionnaires et nationalistes. | |||
Dans ce contexte de peur généralisée du communisme, la répression orchestrée par le régime de Miklós Horthy en Hongrie s’inscrit dans une logique de contre-révolution particulièrement brutale. Après la chute de Béla Kun, la période dite de la « Terreur blanche » s’ouvre sur une vague de violences systématiques à l’encontre des anciens partisans communistes, des militants socialistes, des intellectuels de gauche, des syndicalistes, mais aussi de nombreuses minorités ethniques et religieuses accusées, souvent de façon arbitraire, de complicité avec la révolution. Des exécutions sommaires, des déportations et des persécutions de masse marquent cette phase sanglante de rétablissement de l’ordre autoritaire conservateur. | |||
Il convient ici de souligner que, paradoxalement, la répression de Horthy s’avère, en termes de bilan humain et de brutalité, largement plus meurtrière que les violences commises sous le régime de Béla Kun. Alors que la République des Conseils n’avait exercé son pouvoir que sur une période de quelques mois, dans un contexte de guerre civile, la répression horthyste, elle, s’est installée durablement dans les structures étatiques et s’est exercée de manière systématique contre des milliers d’opposants politiques réels ou présumés. Cette asymétrie de la violence politique constitue un aspect souvent minimisé dans certaines narrations historiques postérieures qui tendent à diaboliser le péril rouge tout en relativisant l’intensité de la répression conservatrice. | |||
Cette dynamique hongroise illustre en réalité un phénomène plus large qui traverse l’ensemble de l’Europe de l’après-guerre : à chaque poussée révolutionnaire répond une contre-offensive autoritaire qui, tout en prétendant défendre l’ordre et la stabilité, instaure souvent des régimes de violence politique structurelle. La peur des Rouges devient ainsi l’un des moteurs profonds de la dérive autoritaire de nombreux régimes d’Europe centrale et orientale au cours des années 1920 et 1930, préparant le terrain aux totalitarismes fascistes qui émergeront peu après. | |||
= La montée et le déclin des régimes parlementaires en Europe : 1918 – 1939 = | = La montée et le déclin des régimes parlementaires en Europe : 1918 – 1939 = | ||
[[Fichier:Les régimes démocratiques 1919 - 1933.png|400px|vignette| | L’immédiat après-guerre de 1918 constitue, dans un premier temps, un moment d’expansion sans précédent des régimes parlementaires en Europe. Avec l’effondrement des anciens empires multinationaux — allemand, austro-hongrois, ottoman et russe — une vague de nouvelles républiques et de monarchies constitutionnelles émerge sur le continent. Pour de nombreux peuples nouvellement constitués en nations indépendantes, le modèle du parlementarisme démocratique apparaît alors comme la voie légitime de la souveraineté retrouvée, de la reconstruction et de la stabilité politique. C’est la victoire, en apparence, de l’idéal libéral-démocratique que la Première Guerre mondiale prétendait consacrer sous l’égide des Alliés. | ||
Dans l’espace centre-européen, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Yougoslavie, la Hongrie, les États baltes et la Finlande adoptent des constitutions qui, sur le papier, reposent sur des principes parlementaires et représentatifs. En Allemagne, la République de Weimar naît en 1919 sous la forme d’une démocratie parlementaire moderne, fondée sur le suffrage universel et des institutions républicaines. Même dans les États plus anciens comme la France ou le Royaume-Uni, le parlementarisme sort apparemment renforcé de la guerre, consacrant l’idée que la démocratie représentative constitue désormais le socle politique de l’Europe contemporaine. | |||
Pourtant, cette expansion rapide des régimes parlementaires va très rapidement se heurter à ses propres fragilités. Derrière l’apparente généralisation des formes démocratiques, les tensions économiques, sociales et identitaires héritées de la guerre et des traités de paix alimentent des dynamiques de déstabilisation intérieure dans la plupart des nouveaux États. Les coûts humains de la guerre, l’inflation galopante, les reconversions industrielles difficiles, le chômage de masse, et les tensions sociales non résolues fragilisent les jeunes démocraties. Les conflits de classe, les divisions ethniques et les rancœurs territoriales issues des traités de 1919-1920 deviennent des foyers permanents d’instabilité. | |||
Dans ce contexte de fragilité structurelle, le système parlementaire est souvent accusé, à droite comme à gauche, d’incapacité à résoudre les crises profondes qui traversent les sociétés européennes. La montée des mouvements révolutionnaires communistes alimente la peur des élites économiques et conservatrices ; en retour, les mouvements d’extrême droite nationalistes et fascistes se présentent comme des alternatives radicales aux « faiblesses » du parlementarisme. | |||
En Allemagne, la République de Weimar devient rapidement le laboratoire tragique de ces tensions cumulatives. Après avoir résisté aux premières tentatives révolutionnaires communistes des années 1918-1919, le régime parlementaire entre dans une période d’instabilité chronique marquée par des gouvernements de courte durée, des crises économiques récurrentes et l’humiliation ressentie face aux conditions du traité de Versailles. Cette vulnérabilité politique ouvre progressivement la voie à l’ascension du parti national-socialiste d’Adolf Hitler, qui exploite à la fois les frustrations populaires et le discrédit des institutions parlementaires pour instaurer, à partir de 1933, une dictature totalitaire. | |||
Dans les États issus de l’ancien Empire austro-hongrois, les trajectoires sont similaires. La Hongrie de Horthy, la Pologne de Pilsudski après son coup d’État de 1926, la Roumanie sous la monarchie autoritaire de Carol II, ou encore la Yougoslavie placée sous dictature royale en 1929, abandonnent progressivement les formes parlementaires au profit de régimes autoritaires nationalistes, souvent militarisés et centralisés. Même la Tchécoslovaquie, longtemps présentée comme un îlot de stabilité démocratique en Europe centrale, finira par être submergée à la veille de la Seconde Guerre mondiale par la dynamique des puissances totalitaires voisines. | |||
Le déclenchement de la crise économique mondiale de 1929 accélère et généralise cette désagrégation des régimes parlementaires. Le chômage de masse, l’effondrement des échanges économiques internationaux, et la montée des tensions sociales radicalisent encore davantage les opinions publiques, fragilisant les compromis démocratiques déjà précaires. Les modèles autoritaires, qu’ils soient fascistes, nationalistes ou communistes, apparaissent alors à de nombreux acteurs politiques comme des solutions plus efficaces face à l’impuissance des régimes parlementaires traditionnels. | |||
Entre 1918 et 1939, l’Europe passe d’une brève expansion démocratique à une recomposition autoritaire généralisée. Ce retournement rapide révèle combien l’apparente victoire du parlementarisme après 1918 était fragile, reposant sur des fondations économiques, sociales et politiques profondément instables. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, seuls quelques rares États européens ont encore préservé un régime parlementaire effectif, tandis que la majorité du continent est désormais dominée par des régimes autoritaires, porteurs d’une violence politique et idéologique de plus en plus systémique. | |||
=== Les régimes démocratiques européens dans l’entre-deux-guerres (1919 – 1933) === | |||
La fin de la Première Guerre mondiale provoque un véritable bouleversement géopolitique sur le continent européen, transformant en profondeur la carte des régimes politiques. La carte de l’Europe entre 1919 et 1933 montre une vaste extension des régimes parlementaires, mais cette expansion doit être examinée avec précision, car derrière l’apparence formelle du parlementarisme, la réalité des systèmes politiques reste très hétérogène.[[Fichier:Les régimes démocratiques 1919 - 1933.png|400px|vignette|Les régimes démocratiques 1919 - 1933]] | |||
En bleu apparaissent les régimes parlementaires ou républicains instaurés après la guerre. Toutefois, il ne s’agit pas toujours de démocraties libérales pleinement consolidées au sens strict du terme. Dans plusieurs cas, ces systèmes parlementaires reposent sur des équilibres institutionnels fragiles, souvent dominés par des monarchies constitutionnelles qui conservent une influence variable sur la conduite des affaires politiques. La monarchie reste en effet, à cette époque, un cadre institutionnel très répandu en Europe : on la retrouve dans des États comme la Belgique, la Suède, la Norvège, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou encore le Danemark, où elle coexiste avec des régimes parlementaires représentatifs. | |||
Le cas de la Hongrie illustre bien la spécificité des trajectoires post-impériales. Après l’écrasement de la République des Conseils en 1919, la Hongrie ne rétablit pas une monarchie active mais adopte un système de régence sous l’autorité de Miklós Horthy, qui instaure un régime autoritaire durable, marqué par une forte centralisation du pouvoir et l’élimination des oppositions de gauche. Cette configuration se distingue nettement des démocraties parlementaires classiques et s’inscrit dans la montée plus générale des régimes autoritaires en Europe centrale et orientale durant l’entre-deux-guerres. | |||
L’Allemagne, autre pilier des puissances vaincues, voit l’installation de la République de Weimar, régime parlementaire moderne né des décombres de l’Empire allemand. Bien qu’institutionnellement démocratique, la République de Weimar naît dans la violence de la guerre civile, marquée notamment par la répression des soulèvements communistes tels que celui du mouvement spartakiste de 1919. Ces insurrections internes témoignent des tensions extrêmes qui traversent la société allemande dans l’immédiat après-guerre. | |||
En Autriche, l’effondrement de la dynastie des Habsbourg débouche sur la proclamation d’une république parlementaire. Là encore, derrière l’apparente stabilité institutionnelle, la société reste traversée par des divisions politiques et sociales profondes qui finiront par déstabiliser le régime autrichien dans les années 1930. | |||
En Turquie, la fin de l’Empire ottoman débouche sur un processus de transformation politique tout à fait particulier : sous la direction de Mustafa Kemal Atatürk, une république présidentielle autoritaire est instaurée, rompant avec l’héritage impérial et islamique de l’ancien régime. Cette mutation institutionnelle est l’une des plus radicales de l’après-guerre, combinant modernisation autoritaire et affirmation nationale turque. | |||
Une distinction importante s’observe ainsi entre les anciens belligérants vaincus, qui sont presque tous contraints de modifier en profondeur leurs structures politiques internes, et les puissances victorieuses qui, en apparence, conservent leurs régimes antérieurs. Le Royaume-Uni et la France, grandes puissances alliées, maintiennent leurs régimes parlementaires traditionnels, même si ces derniers sont traversés eux aussi par des tensions sociales, des mouvements de grève et des contestations politiques. La stabilité institutionnelle de ces régimes n’empêche pas l’existence de crises internes, mais celles-ci ne débouchent pas, à ce stade, sur des bouleversements révolutionnaires comparables à ceux observés en Europe centrale et orientale. | |||
La carte de 1919-1933 permet ainsi de visualiser la coexistence précaire entre : | |||
* une extension superficielle du parlementarisme, souvent plus institutionnelle que réellement démocratique ; | |||
* la montée rapide de régimes autoritaires (Hongrie, Italie dès 1922, Portugal dès 1926, etc.) ; | |||
* des zones de transition où les régimes politiques restent structurellement vulnérables à des basculements ultérieurs, comme en Allemagne, en Autriche ou dans les Balkans. | |||
Entre la stabilité apparente des années immédiatement postérieures à la guerre et l’effondrement général des démocraties au cours des années 1930, l’Europe traverse ainsi une période de recomposition politique d’une extrême fragilité, où le parlementarisme n’a jamais été solidement enraciné hors de quelques bastions occidentaux. | |||
= Nationalisme et mouvements autoritaires = | = Nationalisme et mouvements autoritaires = |
Version actuelle datée du 2 juin 2025 à 18:07
L’histoire de l’Europe moderne est profondément marquée par la tension entre l’affirmation des souverainetés nationales et l’émergence de dynamiques internationalistes. Ce double mouvement constitue l’un des fils conducteurs majeurs des XIXᵉ et XXᵉ siècles européens, où s’affrontent, se chevauchent et parfois se combinent des logiques d’enracinement national et des principes de portée universelle. Pour en saisir toute la complexité, il convient d’abord de souligner que ces deux dynamiques ne s’excluent pas mécaniquement, mais peuvent s’entrelacer et se recombiner selon les contextes politiques, religieux et culturels.
L'exemple des structures religieuses européennes illustre cette dialectique de manière particulièrement éclairante. Le catholicisme, par essence universaliste et centralisé autour de l’autorité pontificale, constitue un modèle de gouvernement spirituel qui transcende les frontières étatiques et linguistiques. L’Église catholique se pense et se présente comme un gouvernement universel, régissant les croyants au-delà des États et des particularismes locaux. En revanche, d’autres confessions chrétiennes ont développé des formes organisationnelles étroitement liées aux structures politiques nationales. L’Église luthérienne, historiquement indissociable des monarchies germaniques et scandinaves, s’est souvent constituée dans le cadre d’un lien étroit entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, ancrant la foi dans des contextes politiques déterminés. À l’Est de l’Europe, le christianisme orthodoxe s’est organisé selon le principe des Églises nationales, chaque Église autocéphale épousant les contours des frontières politiques et des identités linguistiques de son peuple — une logique qui persiste encore aujourd’hui.
Cette pluralité des formes d’organisation religieuse montre que le rapport entre foi, identité nationale et internationalisme est loin d’être homogène. Ainsi, un même individu ou un même mouvement peut articuler des logiques nationalistes et internationalistes sans contradiction apparente. Le cas de la Pologne en fournit un exemple caractéristique. Nation souvent privée d’indépendance politique, soumise aux empires voisins — notamment la Russie tsariste —, la Pologne a forgé un puissant patriotisme nourri à la fois de résistance nationale et de ferveur religieuse catholique. Dans cette configuration, le catholicisme fonctionne à la fois comme ressource spirituelle transnationale et comme marqueur identitaire de la lutte nationale, démontrant ainsi l’imbrication des dimensions internationalistes et nationalistes.
Loin de se réduire à une opposition simple entre deux pôles, la relation entre nationalisme et internationalisme produit, dans chaque contexte, des configurations spécifiques, des « constellations » historiques singulières. Ces articulations mouvantes se retrouvent tout au long du XIXᵉ siècle et trouvent une intensité particulière dans la période de l’entre-deux-guerres en Europe, où la crise des démocraties libérales, la montée des totalitarismes, les mouvements révolutionnaires et les recompositions géopolitiques amplifient ces tensions et recombinaisons.
C’est à l’étude de ces dynamiques complexes — entre affirmation du principe national et contestations internationalistes — que cet article est consacré.
L’internationalisme dans le mouvement ouvrier : 1848 – 1914[modifier | modifier le wikicode]
Au cours de la seconde moitié du XIXᵉ siècle, le mouvement ouvrier européen devient l’un des vecteurs les plus structurés et les plus explicites de l’internationalisme politique. Dès ses origines, cette mouvance articule une ambition révolutionnaire qui dépasse le cadre des États-nations, en posant la condition ouvrière comme une réalité universelle transcendant les frontières et les identités nationales. Deux figures majeures symbolisent cette dynamique initiale : Karl Marx et Mikhaïl Bakounine, dont les trajectoires parallèles illustrent à la fois la richesse et les tensions internes de l’internationalisme ouvrier naissant.
Karl Marx s’impose comme le principal théoricien du capitalisme industriel et de l’émancipation de la classe ouvrière. Son apport fondamental ne réside pas uniquement dans son action militante ou son engagement dans les révolutions de 1848 — bien qu’il y participe activement, notamment à Cologne et à Paris, allant jusqu’à prendre part aux barricades — mais avant tout dans l’élaboration d’une analyse systématique et critique du fonctionnement du capitalisme moderne. En 1848, Marx, en collaboration avec Friedrich Engels, publie Le Manifeste du Parti communiste, un texte qui deviendra rapidement la matrice doctrinale de l’ensemble des mouvements socialistes et communistes ultérieurs. Le Manifeste ne se limite pas à un simple appel à la révolte ; il propose une lecture structurée de l’histoire à travers le prisme des rapports de classes, identifiant la lutte entre bourgeoisie et prolétariat comme le moteur central de l’évolution sociale moderne.
L’un des éléments les plus novateurs et caractéristiques du Manifeste réside dans son refus des cadres nationaux traditionnels. Marx et Engels y énoncent de manière explicite que « les prolétaires n’ont pas de patrie ». Ce postulat pose d’emblée les fondations d’un internationalisme ouvrier radical : la condition du travailleur industriel, exploitée par le capital, se retrouve dans tous les pays où s’étend le capitalisme industriel. Ainsi, l’appartenance nationale est considérée comme secondaire, voire comme une construction artificielle destinée à diviser la classe ouvrière mondiale. Ce positionnement est d’autant plus audacieux que, dans les faits, l’industrialisation est encore largement inégale à l’époque : seules certaines régions d’Europe occidentale — le Royaume-Uni, la Belgique, une partie de l’Allemagne et du nord de la France — connaissent une concentration industrielle significative. Le reste de l’Europe demeure dominé par des structures agraires ou artisanales. Autrement dit, la perspective de Marx est d’une grande anticipation, formulant une vision précoce de ce que l’on désignera plus tard comme la mondialisation des économies.
Mikhaïl Bakounine, de son côté, incarne une autre branche de cet internationalisme ouvrier : celle de l’anarchisme révolutionnaire. Également acteur des révolutions de 1848, Bakounine conteste la centralisation politique et économique prônée par les marxistes. Son projet repose sur une émancipation immédiate des structures étatiques et sur la construction de fédérations autonomes de travailleurs, débarrassées de toute forme d’autorité centralisée. Là où Marx envisage une dictature temporaire du prolétariat en vue de l'édification d'une société sans classes, Bakounine défend une suppression immédiate de l'État, perçu comme un instrument systématique d'oppression, quelle que soit sa coloration politique. Si les deux hommes partagent un même diagnostic quant à l’exploitation capitaliste et à la nécessité d'une révolution sociale, leurs divergences sur les moyens et les structures du pouvoir post-révolutionnaire vont profondément diviser les courants socialistes.
L’affirmation de l’internationalisme ouvrier va progressivement se structurer à travers la création d’organisations supranationales. La Première Internationale, ou Association Internationale des Travailleurs (AIT), fondée en 1864 à Londres, constitue la première tentative concrète d’unir les différents courants ouvriers européens sous une même bannière. Cette organisation réunit marxistes, anarchistes, syndicalistes, et diverses mouvances socialistes réformistes. Cependant, les tensions entre les partisans de Marx et ceux de Bakounine aboutiront à l’éclatement de l’AIT dès les années 1870. Malgré cet échec, l’idée d’une solidarité de classe transnationale reste profondément ancrée dans la culture politique ouvrière.
Au-delà des débats doctrinaux, le principe de solidarité internationale devient une pratique militante concrète. Des grèves internationales sont soutenues par des mouvements ouvriers d’autres pays ; des exilés politiques trouvent refuge et soutien dans des réseaux transfrontaliers ; des congrès internationaux organisent les discussions stratégiques. Cette dynamique s’intensifie encore avec la fondation de la Deuxième Internationale en 1889, qui se présente comme un organe de coordination des partis socialistes et sociaux-démocrates européens. La Deuxième Internationale renforce l’idée que la classe ouvrière constitue un sujet politique global, dont les intérêts fondamentaux dépassent les divisions géographiques.
L’internationalisme ouvrier entre 1848 et 1914 se fonde ainsi sur plusieurs piliers idéologiques et pratiques : une analyse commune de l’exploitation capitaliste, une vision transnationale de la solidarité de classe, et l’élaboration de structures organisationnelles visant à dépasser les souverainetés étatiques. Pourtant, ce projet internationaliste va être confronté à une épreuve décisive en 1914, lorsque le déclenchement de la Première Guerre mondiale mettra à nu les contradictions entre les solidarités de classe proclamées et les loyautés nationales mobilisées. Mais avant ce tournant dramatique, l’internationalisme ouvrier avait posé les bases d’une contestation transnationale du capitalisme industriel et des États-nations modernes.
La Première Internationale : genèse et tensions de l’internationalisme ouvrier (1864 – 1876)[modifier | modifier le wikicode]
La création de la Première Internationale, officiellement appelée Association internationale des travailleurs (AIT), constitue une étape majeure dans l’histoire de l’internationalisme ouvrier. Fondée en 1864 à Londres à l’initiative de militants socialistes français et britanniques, l’AIT vise à donner une expression organisationnelle concrète à la solidarité internationale des travailleurs, jusque-là encore largement théorique. Dès l’origine, cette organisation porte l’ambition de dépasser les frontières nationales pour structurer la lutte ouvrière à une échelle supranationale. Le comité provisoire de l’AIT reflète cette diversité géographique, rassemblant 21 Anglais, 10 Allemands, 9 Français, 6 Italiens, 2 Polonais et 2 Suisses. La composition hétérogène de cette première instance illustre le caractère déjà transnational des réseaux ouvriers engagés dans la contestation sociale de l’époque.
L’idée même d’« Internationale » se fonde sur un principe d’internationalité organisationnelle, réunissant des associations locales, régionales et nationales sous une structure fédérative qui transcende les souverainetés étatiques. Il ne s’agit pas d’une organisation de masse au sens moderne du terme : à cette période, les syndicats, partis et associations ouvrières demeurent encore des groupuscules minoritaires, souvent marginaux et tolérés avec difficulté selon les régimes politiques en place. Cependant, ces noyaux militants se considèrent comme les avant-gardes d’une force historique appelée à transformer en profondeur l’ordre mondial, convaincus que les contradictions du capitalisme industriel conduiront inéluctablement à une révolution sociale planétaire.
Les foyers principaux de ce mouvement internationaliste se trouvent en France et en Grande-Bretagne, deux pays qui offrent un environnement relativement plus permissif à l’expression socialiste et communiste. En Grande-Bretagne, le syndicalisme ouvrier est déjà structuré autour des Trade Unions, tandis qu’en France, les débats socialistes s’enracinent dans la tradition révolutionnaire héritée de 1789, 1830 et 1848. L’influence marxiste commence à y imprégner progressivement les cercles ouvriers les plus politisés, bien que d’autres courants — républicains radicaux, proudhoniens, blanquistes — coexistent dans un paysage intellectuel foisonnant.
Au sein de cette Première Internationale, la confrontation des doctrines ne tarde pas à se cristalliser autour de deux figures centrales : Karl Marx et Mikhaïl Bakounine. Le marxisme s’articule autour de l’idée d’un déterminisme historique selon lequel l’évolution du capitalisme industriel conduit inévitablement à l’exacerbation des antagonismes sociaux. De cette exacerbation naîtrait une révolution mondiale débouchant sur une dictature transitoire du prolétariat, chargée de liquider les anciennes structures bourgeoises pour instaurer progressivement une société sans classes. Cette perspective historique confère aux militants marxistes une conception centralisée et planifiée de la révolution, dans laquelle l’État révolutionnaire joue un rôle stratégique décisif.
En revanche, Mikhaïl Bakounine, bientôt à la tête de la tendance anarchiste au sein de l’AIT, conteste cette centralisation jugée dangereuse et oppressive. Préférant le terme de libertaire à celui d’anarchiste, Bakounine et ses partisans défendent l’idée d’une autogestion immédiate par les travailleurs eux-mêmes, sans passage par une phase de pouvoir d’État, fût-il au nom du prolétariat. Cette approche trouve un écho particulier parmi les artisans et les petits producteurs, qui composent encore largement le monde ouvrier européen à cette époque. Nombre d’entre eux, fiers de leur autonomie professionnelle et de leur savoir-faire manuel, redoutent toute forme de tutelle centralisée, qu’elle émane de l’État bourgeois ou du parti révolutionnaire.
Le cas du Jura suisse illustre cette dynamique de manière exemplaire. Dans cette région d’horlogerie, des collectifs ouvriers accueillent Bakounine et ses idées libertaires avec enthousiasme. Loin des grands centres industriels, ces travailleurs qualifiés expriment une volonté forte d’organisation autonome, indépendante des structures étatiques et des hiérarchies centralisées. Ce « socialisme des petits producteurs » constitue un contrepoint direct aux visions marxistes qui, elles, s’appuient sur le développement massif de la grande industrie et de la classe ouvrière urbaine prolétarisée.
Les tensions doctrinales entre marxistes et bakouniniens atteignent rapidement un point de rupture. Les débats théoriques dégénèrent en affrontements organisationnels qui paralysent l’AIT dans les années 1870. Marx parvient à évincer les anarchistes lors du congrès de La Haye en 1872, conduisant Bakounine à être exclu. Mais cet épisode provoque l’éclatement définitif de la Première Internationale, incapable de maintenir l’unité entre des conceptions révolutionnaires aussi antagonistes. En 1876, l’AIT est officiellement dissoute.
Malgré cet échec institutionnel, la Première Internationale a posé les premiers jalons d’une structuration transnationale des luttes ouvrières. Elle a permis la confrontation directe de doctrines socialistes rivales et a contribué à internationaliser les débats sur la stratégie révolutionnaire. Les clivages apparus dans cette période inaugural continueront de structurer durablement le paysage des gauches européennes au XXᵉ siècle, tandis que l’idée même d’« Internationale » demeurera une référence symbolique majeure pour les générations de militants à venir.
La Seconde Internationale : l’âge d’or et la fracture de l’internationalisme ouvrier (1889 – 1923)[modifier | modifier le wikicode]
La création de la Seconde Internationale marque une nouvelle phase dans l’institutionnalisation de l’internationalisme ouvrier. Fondée en 1889, centenaire de la Révolution française, à Paris, elle rassemble les principales forces socialistes, sociales-démocrates et syndicales européennes, dans un contexte profondément transformé par rapport aux décennies précédentes. L’expérience tumultueuse de la Première Internationale avait montré les limites des tentatives précoces d’unification doctrinale entre marxistes et anarchistes. Désormais, c’est principalement sous l’impulsion des partis socialistes réformistes et sociaux-démocrates que s’organise cette nouvelle Internationale, qui parvient à fédérer un mouvement ouvrier désormais massifié et institutionnellement mieux structuré.
À la différence du milieu du XIXᵉ siècle, l’Europe de la fin des années 1880 est dominée par de grands États-nations consolidés. L’unification allemande réalisée en 1871, sous la direction de la Prusse, a fait émerger un nouvel acteur industriel et politique central en Europe. L’Allemagne devient, en quelques décennies, l’une des principales puissances industrielles du continent, dotée d’une classe ouvrière nombreuse et d’un parti social-démocrate (le SPD) particulièrement puissant. Fondé en 1875, le SPD parvient à s’imposer, malgré les lois antisocialistes de Bismarck, comme le plus grand parti ouvrier du monde à la veille de la Première Guerre mondiale. Son influence intellectuelle et organisationnelle devient rapidement prépondérante au sein de la Seconde Internationale.
Le développement du capitalisme industriel et l’extension des droits politiques aux classes populaires (par l’élargissement progressif du suffrage) permettent également aux partis ouvriers d’accéder aux parlements nationaux. Désormais, les socialistes ne sont plus uniquement des forces de contestation extérieure, mais deviennent progressivement des acteurs du jeu politique institutionnel. Ce déplacement stratégique ouvre des débats internes majeurs au sein du mouvement ouvrier sur la conciliation entre la participation aux institutions bourgeoises et la poursuite des objectifs révolutionnaires. Le réformisme parlementaire, incarné notamment par les sociaux-démocrates allemands et une partie des socialistes français, s’oppose à des courants plus radicaux qui dénoncent une dérive opportuniste.
Au-delà des partis politiques, la Seconde Internationale s’appuie également sur une nébuleuse syndicale, associative et intellectuelle diversifiée qui constitue l’arrière-plan social et culturel de cet internationalisme. La mobilisation ne se limite plus à des minorités militantes : la classe ouvrière organisée atteint désormais une masse critique, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, où les luttes ouvrières sont particulièrement virulentes. Des villes comme Chicago ou les bassins industriels de Pennsylvanie deviennent des foyers importants de grèves et de révoltes ouvrières.
C’est d’ailleurs à Chicago que se déroule en 1886 l’épisode tragique de Haymarket Square. Alors que des ouvriers en grève pour la limitation de la journée de travail à huit heures manifestent, une explosion et une répression policière sanglante marquent cette journée. Cet événement devient un symbole international du martyre ouvrier. En hommage à ces victimes américaines, la Seconde Internationale adopte en 1889 la date du 1ᵉʳ mai comme Journée internationale des travailleurs, consacrant ainsi une dimension universelle à la lutte pour les droits sociaux. Cette adoption du 1ᵉʳ mai illustre parfaitement la logique internationaliste de la Seconde Internationale, qui fait d’un massacre local aux États-Unis un symbole fédérateur pour le mouvement ouvrier mondial.
Pendant près d’un quart de siècle, la Seconde Internationale apparaît comme une structure relativement stable de coordination internationale. Des congrès réguliers permettent aux différentes délégations nationales de débattre des stratégies, des revendications et des principes à défendre face au capitalisme mondial. Toutefois, derrière cette unité apparente, de profondes divergences idéologiques et stratégiques subsistent, notamment autour des questions de guerre, de colonialisme et de coopération avec les États bourgeois.
L’épreuve décisive survient en 1914 avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Malgré des engagements antérieurs à refuser tout soutien aux guerres impérialistes, les partis socialistes des principales puissances européennes s’alignent finalement derrière leurs gouvernements respectifs. En Allemagne, en France, en Autriche comme au Royaume-Uni, les partis ouvriers participent à l’« Union sacrée », soutenant l’effort de guerre national et abandonnant de facto le principe de solidarité de classe internationale. L’appel à la défense de la patrie prend le pas sur l’internationalisme, envoyant les travailleurs des différentes nations combattre et s’entretuer dans les tranchées d’une guerre mondiale qui écrase l’idéal proclamé de fraternité prolétarienne.
L’échec de la Seconde Internationale face à la guerre révèle les limites profondes de l’internationalisme ouvrier de la Belle Époque, incapable de résister aux puissances centrifuges des nationalismes et des logiques étatiques. Si l’organisation continue d’exister formellement jusqu’en 1923, son rôle devient marginal dans l’après-guerre. Entre-temps, la révolution bolchevique de 1917 en Russie inaugure une nouvelle phase du mouvement ouvrier international avec la naissance de la Troisième Internationale (ou Komintern), qui va tenter de reconstruire un internationalisme communiste désormais rivé sur l’exemple soviétique.
La Seconde Internationale apparaît ainsi comme l’apogée, mais aussi comme la première grande crise du projet internationaliste ouvrier : à la fois moment de massification des organisations ouvrières à l’échelle mondiale et démonstration tragique de leur incapacité à dépasser la puissance des États-nations lorsque l’épreuve de la guerre s’impose.
Les autres formes d’internationalisme : pacifisme, espérantisme et action syndicale transnationale (1900 – 1918)[modifier | modifier le wikicode]
Si le mouvement ouvrier constitue sans doute la forme la plus structurée de l’internationalisme à la veille de la Première Guerre mondiale, il n’en est pas l’unique incarnation. D’autres courants, moins directement liés à la question sociale, participent également à cette dynamique transnationale, en cherchant à dépasser les cadres nationaux à travers des projets culturels, linguistiques ou pacifistes. Leur diversité témoigne de la richesse des tentatives visant, sous différentes formes, à transcender les frontières dans une Europe profondément marquée par la montée des nationalismes rivaux.
Parmi ces mouvements, l’espérantisme occupe une place originale. Né de l’initiative de Ludwik Lejzer Zamenhof, un médecin polonais de Białystok, l’espéranto vise à créer une langue artificielle neutre, pensée comme un vecteur de communication universelle, au-delà des clivages ethniques, linguistiques et nationaux. Fondée sur une grammaire simplifiée et un vocabulaire international, cette langue entend abolir les malentendus culturels et faciliter la compréhension mutuelle entre les peuples. Dès 1908, le mouvement espérantiste s’organise de manière structurée avec la création de l’Association universelle d’espéranto (Universala Esperanto-Asocio), devenant l’une des premières organisations véritablement transnationales, rassemblant des adhérents issus de contextes politiques et culturels extrêmement variés.
L’espérantisme ne se limite pas à un simple projet linguistique : il véhicule une véritable utopie pacifiste et internationaliste, dans laquelle la communication interculturelle est perçue comme un rempart contre les conflits et un outil de fraternisation mondiale. La portée de ce projet est telle qu’au moment des débuts de la Révolution bolchévique, certains dirigeants soviétiques envisagent même d’adopter l’espéranto comme langue véhiculaire interne à l’Union soviétique naissante, considérant qu’une telle langue pourrait symboliser la rupture radicale avec l’ordre impérial ancien et faciliter l’unification des peuples socialistes d’origines diverses. L’ambition était immense : instaurer un outil de dépassement des appartenances nationales aussi puissant que les armées l’étaient pour en défendre les frontières.
Parallèlement à ces initiatives culturelles, le pacifisme se développe comme une autre forme essentielle de l’internationalisme. Contrairement à l’espérantisme, il s’inscrit dans une réponse directe aux tensions militaires croissantes de l’époque. Dès les premières années du XXᵉ siècle, les chancelleries européennes et les états-majors anticipent la possibilité d’une conflagration majeure, alimentée par les alliances militaires rigides, les rivalités impérialistes et la course aux armements. Face à cette perspective inquiétante, des mouvements pacifistes transnationaux cherchent à mobiliser les opinions publiques contre la logique de guerre.
Le pacifisme ne constitue pas un bloc homogène ; il regroupe des intellectuels, des associations laïques, religieuses, féminines, mais aussi des fractions du mouvement ouvrier qui considèrent que la guerre impérialiste est un massacre absurde des classes populaires au service des intérêts des États dominants. L’approche pacifiste vise à défendre à la fois une éthique humaniste et une analyse politique des rapports de force internationaux.
Au cœur de la Première Guerre mondiale, certains cercles pacifistes tentent de maintenir un dialogue international malgré l’effondrement de la solidarité socialiste officielle. La Suisse, restée neutre durant le conflit, devient un espace privilégié pour ces initiatives. Deux conférences emblématiques s’y tiennent : la conférence de Zimmerwald en septembre 1915, et celle de Kienthal en avril 1916. Ces rassemblements réunissent des socialistes dissidents, des syndicalistes et des pacifistes qui cherchent des alternatives politiques à la poursuite du conflit. Lénine lui-même participe à Zimmerwald, où il expose ses thèses sur la nécessité de transformer la guerre impérialiste en guerre révolutionnaire contre les classes dirigeantes.
En parallèle, le mouvement syndical poursuit également ses efforts de coordination internationale malgré la guerre. Les syndicats, souvent organisés d’abord à l’échelle locale ou régionale, se sont progressivement dotés de structures nationales capables de peser sur les débats politiques internes. Durant le conflit, ils tentent de jouer un rôle actif en faveur de la paix et de la défense des travailleurs confrontés aux sacrifices imposés par la mobilisation générale et l’économie de guerre. Des conférences syndicales internationales sont ainsi organisées à Leeds en 1916 et à Berne en 1917. Ces rencontres visent à maintenir des échanges entre représentants syndicaux des différents pays belligérants, à formuler des propositions en vue de la paix et à préparer les futurs cadres de coopération après-guerre.
Ces expériences de coopération non-gouvernementale, patiemment construites pendant la guerre, ne demeureront pas sans lendemain. Nombre de leurs participants joueront, après 1918, un rôle important dans la création de nouvelles formes de gouvernance internationale, qu’il s’agisse de la Société des Nations ou des premières institutions de coopération syndicale et économique transnationale.
En marge du mouvement ouvrier institutionnalisé, ces divers courants internationalistes — qu’ils soient culturels, pacifistes ou syndicaux — illustrent la vitalité d’une pluralité d’expériences transnationales cherchant à dépasser l’emprise des États-nations à la veille et pendant la Première Guerre mondiale. Chacun à leur manière, ils traduisent une aspiration commune à inscrire les solidarités humaines, les revendications sociales et les projets de paix dans des cadres dépassant les logiques de souveraineté nationale et de confrontation étatique. Si ces initiatives n’ont pas suffi à enrayer l’escalade guerrière de 1914-1918, elles ont cependant préparé les bases d’une réflexion internationale qui inspirera, après la guerre, de nouvelles architectures de gouvernance mondiale, des tentatives de paix durable et la poursuite des échanges transnationaux entre les sociétés civiles.
L’échec de la diffusion internationale de la Révolution russe : 1917 – 1920[modifier | modifier le wikicode]
L’après-guerre et la tentative d’expansion révolutionnaire (1917 – 1919)[modifier | modifier le wikicode]
L’effondrement de l’ordre européen à la fin de la Première Guerre mondiale ouvre une période d’instabilité politique et sociale propice à de nouvelles formes d’internationalisme révolutionnaire, cette fois portées par le triomphe du bolchevisme en Russie. Contrairement aux mouvements internationalistes antérieurs, désormais affaiblis par la guerre, c’est le modèle communiste soviétique qui prend l’initiative, tentant d’impulser une dynamique révolutionnaire mondiale.
La Révolution russe de 1917 s’inscrit d’abord dans la continuité des révolutions politiques du XIXᵉ siècle. Février 1917 inaugure une révolution libérale-bourgeoise : l’objectif premier est d’instaurer un régime constitutionnel, de mettre fin à l’autocratie tsariste et de doter la Russie de structures politiques représentatives. Toutefois, cet équilibre précaire est rapidement bouleversé. En octobre 1917, les bolcheviques, sous la direction de Lénine, prennent le pouvoir par la force. À travers cette seconde phase, la révolution russe devient l’incarnation d’une rupture radicale : il ne s’agit plus simplement d’installer un régime constitutionnel moderne, mais bien d’engager une transformation systémique et socialiste de la société.
Cette entreprise révolutionnaire ne concerne pas exclusivement les révolutionnaires russes eux-mêmes. Aux côtés des bolcheviques, on retrouve des militants d’origine très diverse : autrichiens, allemands, polonais, lettons, hongrois, souvent des exilés et des opposants aux anciens régimes impériaux, formant une avant-garde transnationale. Tous partagent l’ambition de faire de la Russie le point de départ d’une révolution mondiale. Pourtant, de nombreux théoriciens socialistes doutaient initialement de la viabilité d’une telle révolution dans un pays majoritairement agraire et faiblement industrialisé, dont le prolétariat ne représentait qu’une minorité de la population active. Le marxisme orthodoxe réservait plutôt la révolution au capitalisme avancé, à l’image de l’Allemagne ou du Royaume-Uni.
Mais la situation de crise extrême de 1917 bouleverse ces certitudes théoriques. Lénine et les bolcheviques considèrent qu’une occasion historique s’offre à eux : utiliser la révolution russe comme un signal destiné à déclencher une série de soulèvements ouvriers dans les pays industriels d’Europe occidentale, et notamment en Allemagne. Cette dernière constitue un enjeu stratégique essentiel : son industrie est puissante, son prolétariat organisé et numériquement important, et son régime impérial fragilisé par la défaite militaire imminente. En exportant la révolution vers l’Allemagne, les bolcheviques espèrent contourner les faiblesses structurelles de l’économie russe en s’appuyant sur la capacité industrielle et organisationnelle allemande pour asseoir le socialisme à l’échelle continentale.
Dans les derniers mois de la guerre et surtout à partir de l’armistice de novembre 1918, l’Europe connaît effectivement une vague de convulsions sociales et politiques sans précédent. Les frustrations accumulées pendant le conflit alimentent un climat d’instabilité généralisée. Les pertes humaines colossales, la désorganisation économique, la montée de l’inflation qui dévalue les salaires ouvriers, et la précarité des anciens combattants démobilisés nourrissent l’amertume et la colère des populations. Sur l’ensemble du continent, des mouvements de grève générale et des manifestations de masse éclatent dans les grandes villes industrielles.
En Allemagne, la défaite militaire précipite l’effondrement de l’Empire et l’abdication du Kaiser. La République de Weimar naît dans un contexte de guerre civile larvée, marqué par la montée de conseils ouvriers et de soldats (Räte), de tentatives insurrectionnelles menées par les spartakistes de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, et de répression sanglante organisée par les corps francs. En Autriche-Hongrie, l’effondrement impérial laisse place à des expérimentations socialistes et à des républiques éphémères. En Hongrie, Béla Kun instaure une République des conseils de courte durée en 1919. Même en Suisse, pays resté neutre durant le conflit, des grèves générales éclatent en 1918, exprimant le malaise social face aux déséquilibres de l’économie de guerre. La Suède, bien qu’épargnée par les combats, connaît également des mobilisations populaires et syndicales de grande ampleur.
L’ensemble de ces troubles est souvent perçu, par les élites conservatrices et bourgeoises, comme le signe d’une vaste conspiration bolchevique mondiale orchestrée depuis Moscou. Cette lecture relève largement de la construction d’un imaginaire contre-révolutionnaire. En réalité, les bolcheviques manquent de la capacité logistique, militaire et diplomatique pour organiser une révolution globale concertée. Ce qui se joue dans ces soulèvements, c’est avant tout la conjonction de tensions internes propres à chaque société, amplifiées par l’impact du conflit mondial et le précédent symbolique de la révolution russe.
Au cœur de cette vague révolutionnaire, les grèves générales et les revendications sociales fonctionnent souvent comme des préludes à des projets politiques plus radicaux. Loin d’être uniquement économiques, ces mobilisations expriment une volonté de rupture avec les ordres politiques traditionnels, de remise en cause des hiérarchies sociales, et parfois d’instauration de formes de démocratie directe fondées sur l’autogestion ouvrière.
Malgré l’intensité de ces mouvements, la vague révolutionnaire de l’après-guerre échoue globalement à se transformer en révolution politique durable en Europe occidentale. Seule la Russie soviétique parvient à stabiliser son pouvoir révolutionnaire, non sans une guerre civile particulièrement meurtrière. Ailleurs, les démocraties parlementaires parviennent à contenir, souvent par la répression, ces poussées révolutionnaires, tandis que les peurs engendrées par ces événements alimenteront, dans les années 1920 et 1930, la montée de nouveaux régimes autoritaires et fascistes.
La Troisième Internationale et la recomposition de l’internationalisme ouvrier (1919 – années 1930)[modifier | modifier le wikicode]
Au lendemain de la vague révolutionnaire de 1917-1919, le paysage de l’internationalisme ouvrier entre dans une nouvelle phase de reconfiguration radicale, dominée cette fois par l’influence croissante de la Russie soviétique. Constatant l’échec des révolutions en Europe occidentale, mais s’appuyant sur leur propre victoire intérieure, Lénine et les dirigeants bolcheviques décident d’organiser une nouvelle structure internationale capable de reprendre l’ambition de la révolution mondiale. Ainsi naît en mars 1919 la Troisième Internationale, plus connue sous le nom de Komintern (abréviation de Kommunisticheskiy Internatsional).
Le projet du Komintern repose sur une rupture nette avec les principes de la Deuxième Internationale. Là où cette dernière réunissait une large gamme de partis socialistes souvent réformistes, la Troisième Internationale se veut exclusivement communiste, centralisée et disciplinée, soumise à l’autorité stratégique de Moscou. Son objectif affiché est de fédérer les forces révolutionnaires de gauche extrême dans chaque pays afin de provoquer, sous l’impulsion du modèle bolchevique, l’effondrement mondial du capitalisme et l’instauration de républiques socialistes sur le modèle soviétique. Contrairement aux internationales précédentes, le Komintern est directement adossé à un État central qui lui fournit une logistique, des moyens financiers et un encadrement politique structuré : l’Union soviétique devient ainsi le véritable centre opérationnel du nouvel internationalisme révolutionnaire.
Dans les années qui suivent, des partis communistes sont fondés ou renforcés dans de nombreux pays sous l’impulsion du Komintern. En France, le Parti communiste français (PCF) naît de la scission du congrès de Tours en 1920, où une majorité des socialistes décide de rejoindre l’Internationale communiste. Des partis communistes voient également le jour en Allemagne (KPD), en Italie (PCI), en Grande-Bretagne, aux États-Unis et même en Suisse. Ces organisations nationales demeurent cependant étroitement encadrées par Moscou, qui impose une discipline idéologique rigoureuse et une ligne politique unifiée, souvent fluctuante au gré des évolutions de la stratégie soviétique.
Cette recomposition internationale du mouvement ouvrier reflète des tensions internes profondes qui traversent chaque société européenne. Au cœur de ces tensions se trouve une divergence stratégique majeure : faut-il chercher à transformer la société par une révolution violente et immédiate, comme le prônent les marxistes-léninistes, ou au contraire poursuivre la lutte dans le cadre des institutions existantes en misant sur des réformes progressives, comme le défendent les sociaux-démocrates ? La fracture se cristallise notamment autour de l’attitude adoptée pendant la Première Guerre mondiale : les sociaux-démocrates avaient majoritairement accepté de soutenir l’effort de guerre national en 1914, au nom de l’Union sacrée, tandis que les révolutionnaires bolcheviques avaient appelé à transformer la guerre impérialiste en guerre civile contre les classes dominantes.
Au-delà de la division idéologique, les conditions techniques de l’époque facilitent la circulation des idées révolutionnaires à l’échelle mondiale. Grâce au télégraphe, aux réseaux de presse internationale, aux liaisons ferroviaires et maritimes, l’information circule rapidement. Les publications communistes, les directives du Komintern et les échanges entre militants traversent les frontières avec une efficacité remarquable pour l’époque. L’idée d’une révolution mondiale coordonnée, même si elle s’avérera irréalisable dans les faits, ne relève plus de l’utopie pure : l’infrastructure de communication rend concevable une telle entreprise.
Toutefois, la dynamique du Komintern va progressivement évoluer. Avec l’arrivée de Staline au pouvoir en Union soviétique, la priorité accordée à la révolution mondiale s’efface progressivement derrière l’objectif de consolidation interne du régime soviétique. Dès les années 1930, Staline met fin à l’activisme révolutionnaire mondial du Komintern afin de présenter l’Union soviétique comme un État stabilisé et reconnu sur la scène diplomatique internationale. En 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, le Komintern est officiellement dissous par Staline pour faciliter les alliances militaires avec les puissances occidentales, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni. L’Union soviétique se présente désormais comme une puissance nationale défendant ses intérêts géopolitiques plutôt qu’un foyer d’expansion révolutionnaire généralisée.
En parallèle à cette centralisation communiste, une partie des socialistes non alignés sur le Komintern choisissent de se regrouper dans une nouvelle organisation : l’Internationale Ouvrière Socialiste (IOS), fondée en 1923. Celle-ci rassemble les partis sociaux-démocrates refusant l’emprise soviétique et optant pour une stratégie de transformation sociale progressive à l’intérieur des institutions démocratiques nationales. Dès lors, le mouvement ouvrier international se structure durablement autour de cette bipolarisation : d’un côté le courant marxiste-léniniste sous l’autorité de Moscou, de l’autre la social-démocratie européenne, ancrée dans la démocratie parlementaire.
Cette division traversera durablement tout le XXᵉ siècle, polarisant non seulement les débats internes aux mouvements ouvriers, mais aussi l’ensemble des relations internationales de l’après-guerre, jusqu’à la fin de la guerre froide.
L’expérience des conseils en Hongrie : Béla Kun et la République des Conseils (1919)[modifier | modifier le wikicode]
L'effondrement des Empires centraux à la fin de la Première Guerre mondiale entraîne une recomposition politique particulièrement violente et instable en Europe centrale. Parmi les multiples expériences révolutionnaires qui surgissent de ce vide impérial, la République des Conseils de Hongrie, dirigée par Béla Kun en 1919, constitue l’un des exemples les plus emblématiques d’une tentative de transposition directe du modèle bolchevique dans le contexte centre-européen.
Béla Kun est représentatif de toute une génération de militants issus du creuset politique de l’Empire austro-hongrois. Journaliste de formation, il participe à l’activité de la social-démocratie austro-hongroise avant de se radicaliser durant la guerre. Comme beaucoup d’intellectuels et de militants de son temps, Béla Kun évolue dans un environnement politique traversé de multiples influences — socialisme, nationalisme, pacifisme — où la guerre accélère la polarisation idéologique. Dès les premières heures du conflit, il critique vivement la politique de Vienne, qui engage l’Empire dans la guerre aux côtés de l’Allemagne contre la Serbie. Cette critique, au-delà de sa dimension antimilitariste, comporte également une coloration nationale : aux yeux de nombreux Hongrois, la guerre impériale apparaît comme une aventure sans intérêt vital pour la Hongrie proprement dite, qui subit les conséquences des choix impériaux sans y trouver de bénéfice politique ou économique pour sa propre population.
La défaite militaire de 1918 provoque l’effondrement brutal de l’Empire austro-hongrois et la dislocation de son espace politique multinational. Vienne devient la capitale réduite d’une petite Autriche amputée de ses anciennes possessions impériales, tandis que les nouveaux États issus des ruines impériales naissent dans un climat de grande instabilité. En Hongrie, ce vide politique laisse place à une intense effervescence sociale et révolutionnaire.
De retour d’un bref exil en Russie bolchevique où il a été captif, Béla Kun revient en Hongrie auréolé de son expérience soviétique et se présente comme l’importateur légitime du modèle bolchevique. Il parvient à regrouper autour de lui non seulement une partie des anciens cadres du mouvement socialiste hongrois, mais également des éléments issus de l’ancienne armée impériale. Ces derniers, démobilisés après quatre années de guerre, forment une masse de vétérans socialement frustrés, souvent déclassés, dont le potentiel de radicalisation est élevé. La combinaison de l’expérience militaire et du mécontentement social constitue un terreau particulièrement explosif dans ce contexte post-impérial.
Le 21 mars 1919, Béla Kun proclame la République des Conseils de Hongrie, inspirée directement du modèle des soviets russes. Cette expérience politique radicale repose sur l’instauration de conseils ouvriers et de soldats (Tanácsok), organes censés incarner une forme de démocratie directe révolutionnaire. Contrairement aux structures représentatives parlementaires classiques, ces conseils sont composés de délégués élus directement par les ouvriers, les soldats et les paysans, appelés à exprimer sans intermédiaire la volonté du prolétariat. La logique sous-jacente est celle d’une « légitimation immédiate », où le pouvoir ne passe plus par des médiations institutionnelles, mais repose sur la représentation directe des classes laborieuses.
Derrière cette façade de démocratie directe se superpose cependant le rôle central du Parti communiste hongrois, qui s’installe progressivement au cœur des mécanismes de décision des conseils. Les dirigeants communistes, formés ou influencés par l’expérience bolchevique, se conçoivent comme l’avant-garde consciente du prolétariat, chargée de guider la révolution et de structurer la transition vers le socialisme intégral. En ce sens, les conseils deviennent à la fois des instruments d’action directe populaire et des vecteurs d’implantation du pouvoir communiste au sein de l’appareil d’État révolutionnaire.
La République des Conseils de Hongrie ne dure que quelques mois. Isolée diplomatiquement, confrontée à une opposition intérieure forte et à l’hostilité militaire de ses voisins, notamment la Roumanie, elle s’effondre dès août 1919 sous l’effet des offensives militaires étrangères et de l’éclatement interne des soutiens politiques. Néanmoins, cette courte expérience aura marqué l’histoire européenne comme l’une des tentatives les plus radicales de transplantation du modèle soviétique hors de Russie dans l’immédiat après-guerre.
L’expérience hongroise illustre ainsi de manière exemplaire la circulation internationale des modèles révolutionnaires dans l’Europe de l’après-1918, mais aussi les limites de leur exportabilité face aux réalités politiques, nationales et géopolitiques spécifiques de chaque contexte.
L’enjeu des conseils et la radicalisation post-impériale en Europe centrale (1917 – 1919)[modifier | modifier le wikicode]
Dans le cas russe, la révolution de 1917 se déroule en deux temps qui illustrent pleinement la dynamique de délégitimation progressive des formes libérales classiques. Aux yeux de Lénine et des bolcheviques, la révolution bourgeoise de février 1917 représente un premier pas nécessaire : elle renverse l’autocratie tsariste et installe un régime constitutionnel provisoire. Mais aux yeux des révolutionnaires marxistes-léninistes, cette révolution reste fondamentalement incomplète et historiquement dépassée. La simple introduction du parlementarisme et de la démocratie représentative libérale est jugée insuffisante pour engager la véritable émancipation des masses prolétariennes.
Face à cette situation de transition, les bolcheviques adoptent une stratégie de double pouvoir. Ils encouragent la création de conseils (soviets), ces assemblées d’ouvriers, de paysans et de soldats qui fonctionnent sur le principe de l’élection directe, immédiate, et supposément non médiatisée par les institutions représentatives traditionnelles. À travers ces conseils, les bolcheviques parviennent à infiltrer progressivement les nouveaux organes de pouvoir et à s’y positionner en force d’avant-garde, même lorsqu’ils ne disposent pas initialement de majorités absolues. Le coup d’État d’octobre 1917 n’est pas seulement un putsch classique : il est justifié par ses promoteurs comme l’expression directe de la volonté du peuple, incarnée par ces conseils censés représenter authentiquement les classes populaires.
Ce mécanisme introduit un glissement politique lourd de conséquences. En contestant la légitimité des systèmes parlementaires issus du libéralisme classique, les bolcheviques ouvrent la voie à une conception beaucoup plus directe et immédiate de la souveraineté populaire. La médiation des partis, des parlements ou des élections régulières est considérée comme source de compromission bourgeoise. Ce raccourcissement radical entre volonté du peuple et exercice du pouvoir crée une structure propice à la consolidation de régimes dictatoriaux prétendant exprimer sans filtre les intérêts du prolétariat. Toutefois, à cette étape initiale, de nombreux militants et intellectuels portaient encore de véritables espoirs quant à la possibilité de voir émerger une gouvernance directe, plus démocratique et authentique que le modèle libéral jugé élitiste et corrompu.
Pendant que la Russie s’enfonce dans sa propre guerre civile, les tentatives d’imitation de ce modèle se multiplient ailleurs. L’exemple hongrois de Béla Kun en 1919 illustre cette dynamique de circulation et de transposition du modèle des conseils hors du contexte russe. Pour les puissances voisines et pour les Alliés occidentaux, l’instauration d’un régime de conseils communistes à Budapest constitue une menace immédiate de contagion révolutionnaire. Redoutant la propagation du communisme à l’échelle régionale, les Alliés autorisent l’intervention militaire roumaine qui, avec l’appui tacite des forces occidentales, écrase militairement la République des Conseils hongroise au cours de l’été 1919.
Dans la mémoire politique hongroise, cet épisode demeure ambivalent. D’un côté, il symbolise une tentative avortée d’indépendance nationale radicale rompant avec l’ordre ancien issu de l’Empire austro-hongrois ; de l’autre, l’intervention armée étrangère est vécue comme une nouvelle humiliation nationale, renforçant les tensions régionales et nourrissant durablement les ressentiments envers les puissances voisines. La révolution communiste de 1919, loin d’unir les peuples d’Europe centrale, contribue à raviver les fractures nationales et géopolitiques issues de l’effondrement impérial.
Sur le plan institutionnel, l’effondrement de la monarchie austro-hongroise crée une situation de vide dynastique en Hongrie. L’Empire réunissait auparavant deux couronnes — l’empereur d’Autriche et le roi de Hongrie étant une seule et même personne dans la personne des Habsbourg. En l’absence d’une dynastie hongroise propre, la solution institutionnelle retenue après la chute de Béla Kun est la restauration d’un régime monarchique sans souverain effectif, sous la forme d’une régence confiée à l’amiral Miklós Horthy à partir de 1920. Cette régence ouvre une nouvelle séquence historique dominée par un régime autoritaire nationaliste, farouchement anticommuniste, qui durera jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
L’expérience des conseils en Russie et en Hongrie illustre ainsi, à l’échelle européenne, l’ambivalence de cette tentative d’instaurer des formes de souveraineté directe post-libérale. Derrière la rhétorique de la démocratie directe et de la représentation immédiate du peuple se met en place une architecture politique qui facilitera, dans plusieurs contextes, le basculement vers des régimes autoritaires et centralisés, que ce soit sous la forme du communisme soviétique ou de dictatures nationalistes.
L’installation du régime autoritaire de Horthy et la dérive radicale de l’entre-deux-guerres (1919 – 1945)[modifier | modifier le wikicode]
Après l’effondrement brutal de la République des Conseils en 1919, la Hongrie entre dans une nouvelle phase politique dominée par l’installation d’un régime autoritaire sous la direction de Miklós Horthy. Ancien officier de marine de l’Empire austro-hongrois, Horthy avait déjà joué un rôle actif durant la répression du régime de Béla Kun. Nommé régent en 1920, en l’absence de souverain légitime après la dislocation de la monarchie des Habsbourg, il devient l’homme fort du nouveau régime hongrois tout en maintenant formellement une structure monarchique sans roi effectif.
Le régime instauré par Horthy conserve ainsi la façade institutionnelle d’une monarchie constitutionnelle, mais fonctionne en réalité comme une dictature conservatrice et autoritaire. La presse est étroitement contrôlée, l’opposition de gauche durement réprimée, et la politique intérieure dominée par une élite nationaliste traditionaliste soucieuse de restaurer l’ordre social d’avant-guerre, tout en empêchant tout retour des forces socialistes et communistes.
Le traumatisme politique et territorial du traité de Trianon de 1920 constitue l’un des moteurs fondamentaux de la politique de Horthy. Par cet accord, la Hongrie perd plus des deux tiers de son territoire historique, amputée au profit de la Tchécoslovaquie, de la Roumanie, de la Yougoslavie et de l’Autriche. Cette mutilation territoriale devient le cœur de la revendication politique du régime horthyste : restaurer les frontières de la « Grande Hongrie » constitue désormais l’objectif central de sa politique extérieure.
C’est dans ce cadre que Horthy se rapproche progressivement de l’Allemagne nazie dans les années 1930, non par adhésion doctrinale au national-socialisme, mais par convergence d’intérêts géopolitiques. Hitler, soucieux de déconstruire l’ordre issu des traités de 1919, apparaît aux yeux du régime hongrois comme un partenaire susceptible de faciliter la révision des frontières établies à Trianon. Cette politique d’opportunisme territorial conduit la Hongrie à participer aux opérations militaires de la Seconde Guerre mondiale aux côtés de l’Axe, non dans le but initial de soutenir un projet fasciste global, mais pour obtenir des compensations territoriales au détriment de ses voisins.
Cependant, au fil du conflit, le régime de Horthy est progressivement débordé par les extrémistes nationaux-socialistes hongrois regroupés autour du mouvement des Croix fléchées. En octobre 1944, lorsque Horthy tente de négocier une sortie de guerre avec les Alliés, il est renversé lors d’un coup d’État orchestré avec le soutien des forces allemandes. Les Croix fléchées instaurent alors un régime violemment antisémite et collaborent activement avec les nazis dans la déportation et l’extermination des juifs hongrois. La Hongrie porte ainsi le triste record d’avoir organisé une liquidation systématique de sa population juive à un moment où la défaite allemande est déjà imminente, accentuant encore la tragédie de la Shoah.
L’histoire politique hongroise de l’entre-deux-guerres et de la Seconde Guerre mondiale témoigne ainsi de l’enchaînement complexe des radicalisations successives : après la tentative révolutionnaire de Béla Kun en 1919, écrasée militairement, le pays bascule sous un régime autoritaire conservateur, puis sous l’influence croissante de l’Allemagne nazie, avant de sombrer dans un extrémisme exterminateur en 1944-1945. Cette trajectoire illustre, à l’échelle hongroise, l’ensemble des tensions qui traversent l’Europe de l’après-Première Guerre mondiale : lutte entre révolutions et contre-révolutions, montée des nationalismes exacerbés, et effondrement final des systèmes politiques sous la violence totalitaire de la Seconde Guerre mondiale.
L’obsession anticommuniste et la crainte des « Rouges » en Europe centrale[modifier | modifier le wikicode]
L’ensemble des événements révolutionnaires qui traversent l’Europe centrale et orientale après 1917 — depuis l’expérience soviétique en Russie jusqu’à la République des Conseils de Béla Kun en Hongrie — suscitent un profond climat d’inquiétude et de mobilisation contre-révolutionnaire. Pour de larges segments des élites politiques et sociales européennes, ces insurrections nourrissent la conviction qu’un vaste projet de révolution mondiale communiste est en marche, piloté depuis Moscou, et susceptible de renverser l’ordre établi dans tous les États européens. Cette crainte des « Rouges » devient rapidement un élément structurant des politiques intérieures et internationales de l’après-guerre, et contribue à alimenter durablement la polarisation idéologique de l’entre-deux-guerres.
En Hongrie, l’épisode de la République des Conseils reste particulièrement déterminant dans la formation de cette obsession anticommuniste. L’expérience bolchevique hongroise, bien que brève et géographiquement circonscrite, est perçue comme une répétition générale d’une insurrection prolétarienne capable de s’étendre à l’ensemble de l’Europe centrale. Cette perception alimente l’idée d’une conspiration révolutionnaire globale, même si, dans les faits, les capacités matérielles des bolcheviques hongrois et leurs relais internationaux demeuraient limités. Le spectre d’une insurrection coordonnée par Moscou devient néanmoins un puissant levier de mobilisation pour les forces conservatrices, réactionnaires et nationalistes.
Dans ce contexte de peur généralisée du communisme, la répression orchestrée par le régime de Miklós Horthy en Hongrie s’inscrit dans une logique de contre-révolution particulièrement brutale. Après la chute de Béla Kun, la période dite de la « Terreur blanche » s’ouvre sur une vague de violences systématiques à l’encontre des anciens partisans communistes, des militants socialistes, des intellectuels de gauche, des syndicalistes, mais aussi de nombreuses minorités ethniques et religieuses accusées, souvent de façon arbitraire, de complicité avec la révolution. Des exécutions sommaires, des déportations et des persécutions de masse marquent cette phase sanglante de rétablissement de l’ordre autoritaire conservateur.
Il convient ici de souligner que, paradoxalement, la répression de Horthy s’avère, en termes de bilan humain et de brutalité, largement plus meurtrière que les violences commises sous le régime de Béla Kun. Alors que la République des Conseils n’avait exercé son pouvoir que sur une période de quelques mois, dans un contexte de guerre civile, la répression horthyste, elle, s’est installée durablement dans les structures étatiques et s’est exercée de manière systématique contre des milliers d’opposants politiques réels ou présumés. Cette asymétrie de la violence politique constitue un aspect souvent minimisé dans certaines narrations historiques postérieures qui tendent à diaboliser le péril rouge tout en relativisant l’intensité de la répression conservatrice.
Cette dynamique hongroise illustre en réalité un phénomène plus large qui traverse l’ensemble de l’Europe de l’après-guerre : à chaque poussée révolutionnaire répond une contre-offensive autoritaire qui, tout en prétendant défendre l’ordre et la stabilité, instaure souvent des régimes de violence politique structurelle. La peur des Rouges devient ainsi l’un des moteurs profonds de la dérive autoritaire de nombreux régimes d’Europe centrale et orientale au cours des années 1920 et 1930, préparant le terrain aux totalitarismes fascistes qui émergeront peu après.
La montée et le déclin des régimes parlementaires en Europe : 1918 – 1939[modifier | modifier le wikicode]
L’immédiat après-guerre de 1918 constitue, dans un premier temps, un moment d’expansion sans précédent des régimes parlementaires en Europe. Avec l’effondrement des anciens empires multinationaux — allemand, austro-hongrois, ottoman et russe — une vague de nouvelles républiques et de monarchies constitutionnelles émerge sur le continent. Pour de nombreux peuples nouvellement constitués en nations indépendantes, le modèle du parlementarisme démocratique apparaît alors comme la voie légitime de la souveraineté retrouvée, de la reconstruction et de la stabilité politique. C’est la victoire, en apparence, de l’idéal libéral-démocratique que la Première Guerre mondiale prétendait consacrer sous l’égide des Alliés.
Dans l’espace centre-européen, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Yougoslavie, la Hongrie, les États baltes et la Finlande adoptent des constitutions qui, sur le papier, reposent sur des principes parlementaires et représentatifs. En Allemagne, la République de Weimar naît en 1919 sous la forme d’une démocratie parlementaire moderne, fondée sur le suffrage universel et des institutions républicaines. Même dans les États plus anciens comme la France ou le Royaume-Uni, le parlementarisme sort apparemment renforcé de la guerre, consacrant l’idée que la démocratie représentative constitue désormais le socle politique de l’Europe contemporaine.
Pourtant, cette expansion rapide des régimes parlementaires va très rapidement se heurter à ses propres fragilités. Derrière l’apparente généralisation des formes démocratiques, les tensions économiques, sociales et identitaires héritées de la guerre et des traités de paix alimentent des dynamiques de déstabilisation intérieure dans la plupart des nouveaux États. Les coûts humains de la guerre, l’inflation galopante, les reconversions industrielles difficiles, le chômage de masse, et les tensions sociales non résolues fragilisent les jeunes démocraties. Les conflits de classe, les divisions ethniques et les rancœurs territoriales issues des traités de 1919-1920 deviennent des foyers permanents d’instabilité.
Dans ce contexte de fragilité structurelle, le système parlementaire est souvent accusé, à droite comme à gauche, d’incapacité à résoudre les crises profondes qui traversent les sociétés européennes. La montée des mouvements révolutionnaires communistes alimente la peur des élites économiques et conservatrices ; en retour, les mouvements d’extrême droite nationalistes et fascistes se présentent comme des alternatives radicales aux « faiblesses » du parlementarisme.
En Allemagne, la République de Weimar devient rapidement le laboratoire tragique de ces tensions cumulatives. Après avoir résisté aux premières tentatives révolutionnaires communistes des années 1918-1919, le régime parlementaire entre dans une période d’instabilité chronique marquée par des gouvernements de courte durée, des crises économiques récurrentes et l’humiliation ressentie face aux conditions du traité de Versailles. Cette vulnérabilité politique ouvre progressivement la voie à l’ascension du parti national-socialiste d’Adolf Hitler, qui exploite à la fois les frustrations populaires et le discrédit des institutions parlementaires pour instaurer, à partir de 1933, une dictature totalitaire.
Dans les États issus de l’ancien Empire austro-hongrois, les trajectoires sont similaires. La Hongrie de Horthy, la Pologne de Pilsudski après son coup d’État de 1926, la Roumanie sous la monarchie autoritaire de Carol II, ou encore la Yougoslavie placée sous dictature royale en 1929, abandonnent progressivement les formes parlementaires au profit de régimes autoritaires nationalistes, souvent militarisés et centralisés. Même la Tchécoslovaquie, longtemps présentée comme un îlot de stabilité démocratique en Europe centrale, finira par être submergée à la veille de la Seconde Guerre mondiale par la dynamique des puissances totalitaires voisines.
Le déclenchement de la crise économique mondiale de 1929 accélère et généralise cette désagrégation des régimes parlementaires. Le chômage de masse, l’effondrement des échanges économiques internationaux, et la montée des tensions sociales radicalisent encore davantage les opinions publiques, fragilisant les compromis démocratiques déjà précaires. Les modèles autoritaires, qu’ils soient fascistes, nationalistes ou communistes, apparaissent alors à de nombreux acteurs politiques comme des solutions plus efficaces face à l’impuissance des régimes parlementaires traditionnels.
Entre 1918 et 1939, l’Europe passe d’une brève expansion démocratique à une recomposition autoritaire généralisée. Ce retournement rapide révèle combien l’apparente victoire du parlementarisme après 1918 était fragile, reposant sur des fondations économiques, sociales et politiques profondément instables. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, seuls quelques rares États européens ont encore préservé un régime parlementaire effectif, tandis que la majorité du continent est désormais dominée par des régimes autoritaires, porteurs d’une violence politique et idéologique de plus en plus systémique.
Les régimes démocratiques européens dans l’entre-deux-guerres (1919 – 1933)[modifier | modifier le wikicode]
La fin de la Première Guerre mondiale provoque un véritable bouleversement géopolitique sur le continent européen, transformant en profondeur la carte des régimes politiques. La carte de l’Europe entre 1919 et 1933 montre une vaste extension des régimes parlementaires, mais cette expansion doit être examinée avec précision, car derrière l’apparence formelle du parlementarisme, la réalité des systèmes politiques reste très hétérogène.
En bleu apparaissent les régimes parlementaires ou républicains instaurés après la guerre. Toutefois, il ne s’agit pas toujours de démocraties libérales pleinement consolidées au sens strict du terme. Dans plusieurs cas, ces systèmes parlementaires reposent sur des équilibres institutionnels fragiles, souvent dominés par des monarchies constitutionnelles qui conservent une influence variable sur la conduite des affaires politiques. La monarchie reste en effet, à cette époque, un cadre institutionnel très répandu en Europe : on la retrouve dans des États comme la Belgique, la Suède, la Norvège, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou encore le Danemark, où elle coexiste avec des régimes parlementaires représentatifs.
Le cas de la Hongrie illustre bien la spécificité des trajectoires post-impériales. Après l’écrasement de la République des Conseils en 1919, la Hongrie ne rétablit pas une monarchie active mais adopte un système de régence sous l’autorité de Miklós Horthy, qui instaure un régime autoritaire durable, marqué par une forte centralisation du pouvoir et l’élimination des oppositions de gauche. Cette configuration se distingue nettement des démocraties parlementaires classiques et s’inscrit dans la montée plus générale des régimes autoritaires en Europe centrale et orientale durant l’entre-deux-guerres.
L’Allemagne, autre pilier des puissances vaincues, voit l’installation de la République de Weimar, régime parlementaire moderne né des décombres de l’Empire allemand. Bien qu’institutionnellement démocratique, la République de Weimar naît dans la violence de la guerre civile, marquée notamment par la répression des soulèvements communistes tels que celui du mouvement spartakiste de 1919. Ces insurrections internes témoignent des tensions extrêmes qui traversent la société allemande dans l’immédiat après-guerre.
En Autriche, l’effondrement de la dynastie des Habsbourg débouche sur la proclamation d’une république parlementaire. Là encore, derrière l’apparente stabilité institutionnelle, la société reste traversée par des divisions politiques et sociales profondes qui finiront par déstabiliser le régime autrichien dans les années 1930.
En Turquie, la fin de l’Empire ottoman débouche sur un processus de transformation politique tout à fait particulier : sous la direction de Mustafa Kemal Atatürk, une république présidentielle autoritaire est instaurée, rompant avec l’héritage impérial et islamique de l’ancien régime. Cette mutation institutionnelle est l’une des plus radicales de l’après-guerre, combinant modernisation autoritaire et affirmation nationale turque.
Une distinction importante s’observe ainsi entre les anciens belligérants vaincus, qui sont presque tous contraints de modifier en profondeur leurs structures politiques internes, et les puissances victorieuses qui, en apparence, conservent leurs régimes antérieurs. Le Royaume-Uni et la France, grandes puissances alliées, maintiennent leurs régimes parlementaires traditionnels, même si ces derniers sont traversés eux aussi par des tensions sociales, des mouvements de grève et des contestations politiques. La stabilité institutionnelle de ces régimes n’empêche pas l’existence de crises internes, mais celles-ci ne débouchent pas, à ce stade, sur des bouleversements révolutionnaires comparables à ceux observés en Europe centrale et orientale.
La carte de 1919-1933 permet ainsi de visualiser la coexistence précaire entre :
- une extension superficielle du parlementarisme, souvent plus institutionnelle que réellement démocratique ;
- la montée rapide de régimes autoritaires (Hongrie, Italie dès 1922, Portugal dès 1926, etc.) ;
- des zones de transition où les régimes politiques restent structurellement vulnérables à des basculements ultérieurs, comme en Allemagne, en Autriche ou dans les Balkans.
Entre la stabilité apparente des années immédiatement postérieures à la guerre et l’effondrement général des démocraties au cours des années 1930, l’Europe traverse ainsi une période de recomposition politique d’une extrême fragilité, où le parlementarisme n’a jamais été solidement enraciné hors de quelques bastions occidentaux.
Nationalisme et mouvements autoritaires[modifier | modifier le wikicode]
Il faut noter que la Tchécoslovaquie reste la dernière des démocraties créées après la première guerre mondiale. Le modèle du fascisme italien de Mussolini puis celui de Hitler en 1933 sont admirés pour gouverner efficacement sur la base d’élites technocratiques et militaires.
Beaucoup d’historiens se sont posé la question de savoir si la droite réagit à la gauche. Seulement, les différents régimes politiques s’observent d’une manière extrêmement intense, c’est plutôt une interdépendance qu’un jeu de pillage.
Annexes[modifier | modifier le wikicode]
- Angaut, Jean-Christophe. Bakounine, Jeune Hégélien: La Philosophie Et Son Dehors. Lyon: ENS Édition, 2007.
- Angaut, Jean-Christophe, and Mikhail Aleksandrovich Bakunin. La Liberté Des Peuples: Bakounine Et Les Révolutions De 1848. Lyon: Atelier De Création Libertaire, 2009.
- Angaut, Jean-Christophe. "Le Conflit Marx-Bakounine Dans L'internationale : Une Confrontation Des Pratiques Politiques." Actuel Marx 41.1 (2007): 112.
- Marx, Karl, Friedrich Engels, Emile Bottigelli, and Gérard Raulet. Manifeste Du Parti Communiste. Paris: Flammarion, 1998.