« La question du nationalisme dans les démocraties occidentales de l'entre deux guerres: Grandes-Bretagne et France » : différence entre les versions

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===Les politiques d’immigration===
===Les politiques d’immigration===
*1,3 millions de morts souvent des hommes jeunes.
La Première Guerre mondiale bouleverse en profondeur la démographie française. Les pertes sont immenses : environ 1,3 million de morts, souvent des hommes jeunes, auxquels s’ajoutent des millions de blessés et mutilés. La société sort fragilisée, avec une natalité déjà faible et un déséquilibre durable entre les besoins de main-d’œuvre et les ressources nationales. Pour reconstruire le pays et soutenir son industrialisation, l’appel à une immigration de masse devient une nécessité stratégique.
*1924 constitution par les organisations patronales d’une société générale d’immigration
*La loi du 10 août 1927 permet la naturalisation des étrangers ayant résidé seulement 3 ans sur le territoire. Nombre des naturalisations double dès l’année suivante.
*¾ desimmigrés sont actifs  et 2/3 des Français
*37%des immigrés dans les industries du bâtiment
*48%des travailleurs des industries extractives sont des étrangers (souvent Polonais en provenance de l’Allemagne)
*70%dans les Mines de fer
         
A l’époque, s’il y a tellement d’immigration en France, c’est parce que il y a des gens qui font venir des immigrants, ils en ont besoin (ils n’ont donc pas les même intérêt que ceux qui se sentent en situation de concurrence), c’est essentiellement les organisations patronales qui mettent en place des filière d’immigrations et ce qui est nouveau dans la période d’entre-guerre, c’est le rôle du gouvernement qui crée un véritable office de l’immigration et qui permet de faire venir massivement des immigrés.


Il y a des immigrés de manière marginale qui viennent des colonies (à la différence qui se passe au Royaume Unies). Pour essentiel l’immigration vient de l’intérieure de l’Europe.  
Dès 1924, les organisations patronales prennent l’initiative. Elles fondent la ''Société générale d’immigration'', véritable organisme de recrutement international, chargé d’organiser l’arrivée de travailleurs étrangers. Ce rôle du patronat est décisif : ce sont les entreprises qui sollicitent la venue de main-d’œuvre étrangère, en fonction de leurs besoins sectoriels, et qui structurent les filières migratoires. La logique est pragmatique : importer des travailleurs déjà adultes permet de disposer immédiatement d’une main-d’œuvre qualifiée ou non qualifiée, sans avoir à financer leur éducation et leur formation initiale.
Cettepolitique d’immigration donne lieu à une révision du code de la nationalitéavec la loi du 10 août 1927 qui permet la naturalisation rapide des étrangersayant résidé seulement 3 ans sur le territoire (cela veut dire que après 3 ansles émigrés peuvent demander la citoyenneté). C’est très généreux maisc’est parce que il y a aussi un besoin d’intégrer une population étranger parcequ’il y a un déficit de population.  


Caexplique pourquoi -dans la période de l’entre-deux-guerres -on a une populationimmigré important et cette dernière a l’avantage de constitué une main d’œuvre tout de suite disponible et quicoût relativement peu chère  (car pasbesoin de les éduquer parce qu'ils arrivent déjà adulte).  
L’État, de son côté, assume de plus en plus un rôle moteur. Pour la première fois, il met en place un véritable office public de l’immigration, qui centralise et encadre les flux. La politique migratoire n’est plus seulement le résultat d’initiatives privées, mais un instrument assumé de reconstruction nationale. Cette orientation se traduit par une réforme majeure du droit de la nationalité : la loi du 10 août 1927. Elle réduit de dix à trois ans la durée de résidence exigée pour obtenir la naturalisation. Cette mesure est particulièrement généreuse par rapport aux autres pays européens, et elle a un effet immédiat : le nombre de naturalisations double dès l’année suivante. La France ne se contente pas de faire venir des immigrés, elle favorise aussi leur intégration juridique, dans un contexte de déficit démographique aigu.
L’intérêtque l’on a tirer d’une population d’immigré, c’est que ¾ des immigrés sontactifs et dans le cas des française c'est seulement 2/3. Et surtout lesimmigrés travaillent dans les métiers durs, dans lesquels il était difficile detrouver des travailleurs français (70% dans les Mines de fer sont destravailleurs immigrés).
 
L’impact économique de cette immigration est considérable. Les chiffres illustrent la dépendance croissante de certains secteurs : 37 % des travailleurs des industries du bâtiment sont des immigrés ; 48 % dans les industries extractives, en particulier les mines de charbon, où les Polonais recrutés depuis l’Allemagne forment une main-d’œuvre massive ; jusqu’à 70 % dans les mines de fer, où la présence étrangère est dominante. Globalement, trois quarts des immigrés sont actifs, contre deux tiers seulement des Français. Cette différence s’explique par le fait que la population immigrée est majoritairement adulte et masculine, concentrée dans les métiers pénibles et faiblement qualifiés que les nationaux répugnent à occuper.
 
La composition de ces flux reste essentiellement européenne. La grande majorité des immigrés proviennent des pays voisins : Italie, Belgique, Espagne, Suisse, Allemagne, et surtout Pologne, dont les mineurs sont massivement recrutés dans le Nord et l’Est. L’immigration coloniale, contrairement au cas britannique, reste marginale à cette époque, même si l’on observe déjà la présence de travailleurs maghrébins, en particulier algériens, employés dans l’industrie et les grands travaux. La France reste donc, dans l’entre-deux-guerres, un pays d’immigration européenne plus que coloniale.
 
Cette politique d’immigration répond à une double logique. D’une part, elle vise à combler un déficit démographique structurel en intégrant rapidement les étrangers par la naturalisation. D’autre part, elle permet de disposer d’une main-d’œuvre immédiatement opérationnelle, concentrée dans les secteurs les plus pénibles et exposés. Ce système renforce la dépendance de l’économie française à l’égard des travailleurs étrangers, tout en nourrissant une tension permanente : les mêmes étrangers indispensables à l’économie deviennent, en période de crise, des concurrents sur le marché du travail et des boucs émissaires désignés.


==LA FRANCE XÉNOPHOBE==
==LA FRANCE XÉNOPHOBE==

Version du 5 septembre 2025 à 08:40

L’entre-deux-guerres s’ouvre en Europe sur une recomposition radicale des équilibres politiques et sociaux. La Première Guerre mondiale a laissé derrière elle un lourd héritage : traumatismes humains, bouleversements territoriaux, fragilisation économique et instabilité politique. Le traité de Versailles (1919) et les règlements de paix qui l’accompagnent redessinent les frontières et suscitent des frustrations profondes, tandis que la reconstruction économique peine à stabiliser les sociétés. Dans ce climat, la question nationale et les formes de nationalisme occupent une place centrale, nourrissant à la fois les aspirations collectives et les tensions politiques.

La montée des nationalismes ne concerne pas uniquement les pays autoritaires. Certes, la plupart des États européens basculent vers des régimes dictatoriaux ou autoritaires – l’Italie fasciste dès 1922, l’Allemagne nazie à partir de 1933, le Portugal salazariste ou encore l’Espagne franquiste après la guerre civile. Mais les démocraties parlementaires qui subsistent – Royaume-Uni, France, pays nordiques, Suisse, Tchécoslovaquie – ne sont pas épargnées. Elles demeurent des exceptions dans une Europe où la démocratie représentative devient marginale, et elles sont elles-mêmes travaillées par des crispations identitaires. Loin d’être immunisées, ces démocraties doivent gérer des tensions liées à l’instabilité sociale (grèves, chômage de masse, polarisation idéologique) et à la radicalisation de la vie politique.

Le nationalisme se déploie alors selon des modalités variées. Dans les régimes autoritaires, il sert de ciment idéologique et de justification expansionniste. Dans les démocraties, il prend des formes plus subtiles, mais tout aussi structurantes : affirmation des frontières intérieures entre nationaux et étrangers, débats sur l’appartenance, mobilisation de la mémoire collective, ou encore valorisation de l’identité impériale. C’est ce prisme que permet d’explorer la comparaison entre la Grande-Bretagne et la France. Ces deux pays, tout en restant attachés à leurs institutions représentatives jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, connaissent des expressions très différentes du nationalisme.

En Grande-Bretagne, le nationalisme anglais, ou britishness, reste secondaire face à une identité impériale qui constitue le véritable socle de la cohésion nationale. L’Empire britannique, à son apogée territorial dans l’entre-deux-guerres, fournit une matrice identitaire qui transcende les divisions internes. L’adhésion au projet impérial et la fierté coloniale permettent de contenir l’émergence d’un nationalisme strictement anglais, même si subsistent des tensions périphériques, notamment en Irlande. Le nationalisme britannique s’exprime ainsi moins dans l’exclusion de l’« autre » au sein du territoire que dans l’affirmation d’une mission impériale.

En France, le contraste est frappant. Si l’empire colonial existe bel et bien, il joue un rôle marginal dans la définition de l’identité nationale. Le cœur du nationalisme français de l’entre-deux-guerres se situe dans l’Hexagone, où il s’articule autour de la distinction entre citoyens et étrangers. La mémoire du sacrifice de 1914-1918, la peur du déclin démographique, les crises économiques et sociales alimentent une crispation identitaire centrée sur la figure de l’« étranger ». Le nationalisme français se structure alors sur un axe « inclusion/exclusion », où l’affirmation du « nous » national passe par une mise à distance croissante des communautés étrangères, notamment à travers les discours xénophobes et les politiques de naturalisation ou de restriction.

Cette opposition entre une Grande-Bretagne portée par son rêve impérial et une France obsédée par sa cohésion interne permet de saisir la pluralité des visages du nationalisme en démocratie. L’étude comparée de ces deux cas montre non seulement la fragilité des régimes démocratiques face à la pression nationaliste, mais aussi la manière dont chaque société a projeté ses angoisses et ses aspirations sur la scène nationale. Dans un premier temps, l’analyse se concentrera sur le cas britannique, où la britishness se déploie dans le cadre de l’identité impériale. Dans un second temps, elle examinera le cas français, où le nationalisme se définit davantage par la frontière symbolique entre nationaux et étrangers que par la projection coloniale.

La « Britishness » anglaise

Le nationalisme britannique de l’entre-deux-guerres ne s’exprime pas principalement sous une forme ethnique ou exclusive, mais plutôt à travers une identité impériale large qui transcende les frontières de la seule Angleterre. La notion de Britishness renvoie à une construction identitaire complexe qui associe le Royaume-Uni, l’Irlande (jusqu’en 1922), et surtout l’Empire colonial. Elle s’appuie moins sur l’idée d’une nation homogène que sur l’affirmation d’une mission impériale et civilisatrice, incarnée dans le slogan « the empire on which the sun never sets ». Dans ce cadre, le nationalisme anglais au sens strict reste minoritaire, éclipsé par la force symbolique de l’identité impériale.

La victoire de 1918 renforce ce sentiment. Le Royaume-Uni sort du conflit parmi les vainqueurs, élargi par de nouveaux mandats coloniaux obtenus au Proche-Orient et en Afrique. L’Empire britannique, qui couvre alors près d’un quart des terres émergées, devient le socle de la fierté nationale et le garant de la puissance mondiale. La cohésion se construit autour de cette appartenance impériale partagée, nourrie par les commémorations du 11 novembre et par la diffusion de représentations culturelles qui placent l’Empire au cœur de l’identité collective.

Ce consensus impérial ne masque pas toutes les fissures. La guerre d’indépendance irlandaise (1919-1921) et la création de l’État libre en 1922 fragilisent l’unité du Royaume. Les revendications écossaises et galloises, encore timides, rappellent elles aussi l’existence de particularismes persistants. Mais dans l’ensemble, l’adhésion au projet impérial fournit un ciment assez solide pour limiter l’émergence d’un nationalisme anglais exclusif.

L’extrême droite britannique, portée par Oswald Mosley et la British Union of Fascists, illustre également cette spécificité. Malgré une volonté de s’inspirer des modèles italien et allemand, elle ne parvient pas à s’ancrer durablement. Le poids du parlementarisme, l’absence de crise politique comparable à celle de la France, et la prééminence de l’identité impériale freinent sa progression. Le nationalisme radical reste ainsi contenu, relégué aux marges de la vie politique.

Le nationalisme britannique des années 1920-1930 apparaît donc d’abord comme une Britishness définie par la projection impériale et par l’idée d’un rôle mondial à assumer. Plutôt qu’une communauté nationale tournée vers l’intérieur, c’est la grandeur de l’Empire qui structure les représentations collectives et oriente les débats identitaires.

La stabilité nationale à l’intérieur

Dans l’Europe de l’entre-deux-guerres, la Grande-Bretagne apparaît comme une exception par la continuité de ses institutions politiques et la résilience de son système parlementaire. Alors que l’Italie sombre dans le fascisme dès 1922, que l’Allemagne bascule vers le nazisme après 1933 et que l’Europe centrale est gagnée par l’autoritarisme, le Royaume-Uni maintient une démocratie représentative fonctionnelle. Cette stabilité ne doit pas être comprise comme une absence de tensions, mais comme la capacité d’un régime à absorber les chocs sociaux et politiques sans basculer dans la rupture institutionnelle.

Un premier facteur tient à la solidité du bipartisme britannique. Les alternances entre conservateurs et travaillistes, qui s’affirment comme une force de gouvernement à partir des années 1920, confèrent une légitimité durable au système parlementaire. Le Parti travailliste, en accédant au pouvoir en 1924 puis en 1929, accepte les règles de la démocratie représentative et se place dans une logique de gestion réformiste, non révolutionnaire. Cette intégration de la gauche ouvrière dans le jeu institutionnel évite les fractures radicales que connaissent d’autres pays européens, où les mouvements socialistes ou communistes sont marginalisés ou réprimés.

La mémoire de la Première Guerre mondiale joue également un rôle central dans la cohésion nationale. Le sacrifice de millions de soldats nourrit un sentiment partagé d’appartenance et d’unité. Les commémorations du 11 novembre, les monuments aux morts dans chaque commune et la culture du souvenir renforcent un patriotisme transversal, qui dépasse les clivages partisans. Cette mémoire commune contribue à limiter les fractures internes et à inscrire la nation dans une continuité symbolique autour du culte des anciens combattants et de la dette envers les morts.

Pour autant, la stabilité britannique n’exclut pas les tensions sociales profondes. Les années 1920 sont marquées par une série de crises économiques, aggravées par la réintroduction de l’étalon-or en 1925 et la récession qui s’ensuit. La grève générale de mai 1926, déclenchée en solidarité avec les mineurs, mobilise près de deux millions de travailleurs. C’est le plus vaste mouvement social de l’histoire britannique, et il met à l’épreuve la capacité du système à encadrer le conflit. L’arrêt brutal de l’économie fait craindre une rupture, mais le gouvernement de Baldwin, soutenu par le roi et l’armée, parvient à maintenir l’ordre sans recours à des mesures autoritaires. Les syndicats, bien que durement affaiblis après cet épisode, restent reconnus comme des acteurs légitimes du système social.

Les années 1930 sont marquées par les effets de la Grande Dépression, qui frappe durement certaines régions industrielles du Nord et du Pays de Galles. Le chômage massif provoque des manifestations, des marches de la faim et une contestation sociale persistante. Cependant, là encore, le système politique absorbe les tensions. Le gouvernement d’union nationale formé en 1931 illustre la capacité de compromis des élites politiques, qui choisissent la coopération plutôt que l’affrontement. Le consensus autour de la défense de la livre sterling et des politiques de rigueur témoigne d’une volonté de préserver la stabilité institutionnelle face à la crise.

L’extrême gauche comme l’extrême droite demeurent des forces marginales. Le Parti communiste de Grande-Bretagne, créé en 1920, reste faible, avec une influence limitée dans les syndicats. De l’autre côté, la British Union of Fascists fondée par Oswald Mosley en 1932 attire un temps l’attention par ses uniformes noirs, ses défilés et son discours emprunté à Mussolini et Hitler. Mais elle ne dépasse jamais quelques dizaines de milliers d’adhérents, et ses meetings spectaculaires sont régulièrement perturbés par les opposants antifascistes. L’attachement de la majorité de la population aux institutions parlementaires et l’identification à l’Empire réduisent considérablement l’attrait de ces solutions radicales.

La stabilité britannique dans l’entre-deux-guerres s’explique donc par une combinaison de facteurs : un bipartisme solidement ancré, une mémoire nationale partagée, une capacité de compromis institutionnel et un horizon impérial qui fournit un cadre identitaire large. Si les tensions sociales et territoriales existent bel et bien, elles sont contenues par un système politique qui privilégie l’intégration des forces contestataires plutôt que leur exclusion. Cette résilience contraste avec les dérives autoritaires observées sur le continent et fait de la Grande-Bretagne une démocratie atypique dans un paysage européen en voie de radicalisation.

Des années 1920 aux années 1930 : la stabilisation sociale

La Grande-Bretagne de l’entre-deux-guerres traverse une période marquée par de fortes tensions sociales, mais aussi par une remarquable capacité de stabilisation. Les années 1920, en particulier, sont dominées par les séquelles économiques de la guerre et par des conflits du travail d’une ampleur inédite. Le retour à la paix ne signifie pas la prospérité : dès 1921, le pays connaît une grave crise économique, avec une chute brutale de la production industrielle et une explosion du chômage. Le nombre de chômeurs passe d’environ un million au début de l’année à près de 2,5 millions à la fin de l’année, soit un niveau inédit dans l’histoire contemporaine britannique. Cette dépression frappe surtout les industries traditionnelles – charbon, acier, textile, construction navale – concentrées dans le nord de l’Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse, régions qui deviennent des foyers de mécontentement.

Les grèves se multiplient dès 1919, atteignant un point culminant avec la grève générale de mai 1926. Déclenchée en solidarité avec les mineurs menacés par des réductions de salaires et une aggravation des conditions de travail, elle mobilise près de deux millions d’ouvriers pendant neuf jours. Le pays est paralysé : transports, presse, production industrielle s’arrêtent. L’événement marque un moment critique dans l’histoire sociale britannique. Pourtant, malgré son ampleur, la grève générale ne débouche pas sur une remise en cause des institutions. Les syndicats, regroupés dans le Trades Union Congress (TUC), jouent un rôle central d’encadrement. Ils organisent la mobilisation de manière disciplinée et, une fois les négociations conclues, appellent au retour au travail. Cet épisode illustre à la fois la radicalité des tensions sociales et la capacité du système britannique à canaliser le conflit dans un cadre démocratique.

Le mouvement ouvrier britannique se distingue par son intégration à l’ordre politique. À la différence de la France, où les grèves peuvent être perçues comme des affrontements directs contre l’État, les syndicats britanniques respectent les règles du jeu institutionnel. Ils négocient avec le gouvernement, cherchent à peser sur les décisions politiques, mais sans remettre en cause le régime. La création et l’ascension du Parti travailliste, soutenu par le TUC, traduisent cette dynamique d’intégration. Les ouvriers disposent ainsi d’un relais politique direct au Parlement, ce qui limite la tentation révolutionnaire et renforce la stabilité générale.

La Grande Dépression des années 1930 réactive les tensions. Le chômage atteint de nouveau des niveaux très élevés, dépassant les trois millions de personnes en 1932. Les régions industrielles traditionnelles subissent une véritable désindustrialisation, donnant lieu à des marches de protestation célèbres, comme la Jarrow March de 1936, où des chômeurs du nord de l’Angleterre parcourent plus de 400 kilomètres pour alerter sur leur situation. Pourtant, ces mobilisations restent pacifiques et ordonnées, confirmant l’intégration du mouvement ouvrier dans un cadre légaliste. Les gouvernements successifs, notamment le gouvernement d’union nationale formé en 1931 autour de Ramsay MacDonald, Stanley Baldwin et Neville Chamberlain, cherchent à gérer la crise en privilégiant des politiques de rigueur et de protection de la livre sterling. Ces choix sont contestés mais ne provoquent pas de rupture institutionnelle.

L’existence de syndicats puissants et organisés, capables de mobiliser massivement tout en restant attachés à la négociation, constitue un facteur essentiel de la stabilisation sociale britannique. Les conflits sont durs et parfois paralysants, mais ils ne débordent pas le cadre démocratique. Cela contraste fortement avec le cas français, où les grèves de 1936 s’accompagnent d’occupations d’usines et d’une remise en cause symbolique de l’ordre établi. En Grande-Bretagne, même les moments de protestation intense s’inscrivent dans une logique d’intégration politique.

Enfin, la société britannique n’échappe pas aux courants extrémistes. Les années 1930 voient l’apparition d’un fascisme anglais, porté par Oswald Mosley et sa British Union of Fascists. Inspiré par Mussolini et Hitler, le mouvement organise des défilés spectaculaires et bénéficie un temps d’un certain soutien dans les milieux d’affaires inquiets de la crise. Mais il ne dépasse jamais quelques dizaines de milliers d’adhérents et reste cantonné à une minorité. La culture politique britannique, profondément attachée au parlementarisme et au compromis social, limite l’attrait de ces expériences autoritaires. La présence d’un horizon impérial commun, qui continue de nourrir la fierté nationale, contribue également à marginaliser les discours fascistes.

La stabilisation sociale de la Grande-Bretagne entre les deux guerres ne signifie donc pas absence de conflit. Au contraire, la période est traversée par des crises économiques et des luttes ouvrières massives. Mais le système politique et syndical parvient à les encadrer, transformant ces tensions en épreuves absorbées par les institutions. Cette capacité d’intégration sociale constitue l’un des ressorts fondamentaux de la résilience démocratique britannique dans un continent largement gagné par l’autoritarisme.

Un mouvementnationaliste minoritaire : l’union fasciste anglaise de Oswald Mosley

Italy's Duce Benito Mussolini (left) with Oswald Mosley (right) during Mosley's visit to Italy in 1936.

L’Angleterre de l’entre-deux-guerres connaît, comme la plupart des pays européens, l’émergence d’un mouvement fasciste inspiré des modèles italien et allemand. Oswald Mosley, ancien député conservateur puis travailliste, fonde en 1931 le New Party. Très vite, il abandonne cette tentative isolée pour se rapprocher des régimes autoritaires qui s’imposent sur le continent. En 1932, après une visite en Italie et des entretiens avec Mussolini, il transforme son organisation en British Union of Fascists (BUF), ou Union fasciste anglaise, et publie un manifeste appelant à la mise en place d’un État fasciste en Grande-Bretagne.

Le mouvement connaît une certaine expansion initiale. En 1934, la BUF revendique environ 40 000 membres, un chiffre qui traduit un écho réel dans une société marquée par la crise économique et le chômage de masse. Les « chemises noires » de Mosley adoptent les codes des partis fascistes continentaux : uniformes paramilitaires, défilés spectaculaires, usage de la violence contre leurs opposants. La BUF se veut une force de rupture, dénonçant à la fois l’impuissance du parlementarisme et l’influence du capitalisme international.

Toutefois, l’Union fasciste anglaise se heurte rapidement à une forte résistance. Le 4 octobre 1936, lors de la « Bataille de Cable Street » dans l’East End de Londres, un défilé de la BUF est empêché par une mobilisation massive de la population locale – communistes, syndicats, habitants juifs – soutenue par une partie de l’opinion publique. Cet épisode symbolise la capacité de la société britannique à faire barrage à un mouvement perçu comme étranger à sa tradition politique. Contrairement à d’autres pays européens où les fascistes parviennent à intégrer ou à dominer la vie parlementaire, la BUF reste marginale et n’obtient aucun élu au Parlement.

À partir de 1938, le mouvement se fragilise. Les divisions internes et la perte de crédibilité liée à la radicalisation violente affaiblissent Mosley et ses partisans. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale précipite la fin du parti. Le 22 mai 1940, le gouvernement britannique promulgue l’édit de défense 18B, qui autorise l’internement administratif de toute personne soupçonnée de menacer la sécurité de l’État. Mosley est arrêté le 30 mai 1940 et la BUF est dissoute. Au moment même où la France bascule dans le régime de Vichy, en votant les pleins pouvoirs au maréchal Pétain, la Grande-Bretagne neutralise son propre mouvement fasciste et maintient la continuité démocratique.

Cette trajectoire témoigne d’une différence fondamentale avec les expériences continentales. Le fascisme britannique existe, il adopte les mêmes codes que ses homologues européens, mais il ne parvient jamais à s’ancrer durablement. La force du parlementarisme, la mobilisation de la société civile et, plus largement, l’existence d’un horizon impérial qui nourrit l’identité collective réduisent l’espace disponible pour une idéologie extrême. L’Empire fonctionne ici comme une soupape : il canalise l’imaginaire national vers la grandeur impériale plutôt que vers une radicalisation interne. La Grande-Bretagne montre ainsi une capacité de résistance singulière, qui illustre la spécificité de son nationalisme dans l’entre-deux-guerres.

L’Empire britannique

Dans l’entre-deux-guerres, l’Empire britannique occupe une place décisive dans la définition de l’identité collective. Plus qu’un simple cadre géopolitique, il constitue le fondement de la Britishness et l’horizon symbolique autour duquel se construit l’unité nationale. En 1919, le Royaume-Uni sort de la guerre en vainqueur et voit son empire atteindre son apogée territorial : il couvre près d’un quart des terres émergées et gouverne environ 450 millions de sujets, de l’Inde à l’Afrique, en passant par le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le système des mandats confiés par la Société des Nations renforce encore cette emprise, notamment au Proche-Orient avec la Palestine et la Mésopotamie.

L’Empire joue d’abord un rôle matériel. Il représente une ressource économique vitale dans un contexte de crise industrielle et de chômage massif. Le commerce impérial est conçu comme une voie de stabilisation, offrant débouchés aux produits britanniques et assurant un approvisionnement privilégié en matières premières. L’idée d’« Imperial Preference », défendue par certains milieux conservateurs et appliquée partiellement après la conférence d’Ottawa en 1932, illustre cette volonté de consolider un bloc économique impérial face aux turbulences mondiales.

Mais l’importance de l’Empire dépasse la seule économie. Il agit comme un cadre identitaire et politique qui nourrit la cohésion nationale. Les expositions coloniales, la diffusion des manuels scolaires et la presse populaire valorisent la grandeur impériale comme une composante essentielle de l’identité britannique. Les cérémonies du Remembrance Day et les commémorations de la victoire de 1918 intègrent souvent la référence impériale, rappelant que les soldats venus d’Inde, du Canada, d’Australie ou d’Afrique ont contribué à l’effort de guerre. Cette dimension impériale permet de projeter la nation vers un horizon global et d’éviter que les tensions sociales internes ne se traduisent par une radicalisation politique majeure.

L’Empire joue aussi un rôle de soupape contre la montée d’un nationalisme extrême. Alors que sur le continent européen, les frustrations économiques et identitaires alimentent les mouvements fascistes ou autoritaires, en Grande-Bretagne l’adhésion au rêve impérial occupe une partie de l’espace symbolique disponible. La fierté de gouverner un quart de la planète atténue l’attrait des discours qui promettent un renouveau national par la violence ou l’exclusion. Le contraste est particulièrement visible avec la France, où l’empire colonial existe bien, mais reste périphérique dans la définition du nationalisme de l’entre-deux-guerres.

Cependant, cette exaltation impériale masque des tensions croissantes. Les revendications indépendantistes en Inde, portées par le mouvement du Congrès et par Gandhi, les difficultés de gestion des mandats au Proche-Orient, ou encore les contestations en Palestine montrent que l’Empire n’est pas un espace pacifié. Mais sur le plan intérieur britannique, il demeure un puissant facteur de cohésion. La perception que l’Empire incarne à la fois la grandeur passée et l’avenir de la puissance britannique nourrit un patriotisme impérial qui contribue à stabiliser la société dans une période marquée par la crise économique et la montée des extrêmes en Europe.

Le poids de l’Empire dans la culture politique britannique explique en partie pourquoi le nationalisme anglais au sens étroit reste marginal et pourquoi les expériences fascistes n’ont pas trouvé un terrain favorable comparable à celui de l’Italie ou de l’Allemagne. L’identité britannique se définit moins par une recherche d’homogénéité interne que par la projection d’une mission impériale globale, qui confère au pays un rôle singulier dans l’entre-deux-guerres.

La constitution de l’Empire

La spécificité britannique tient au fait que l’identité nationale elle-même s’est construite dans un cadre impérial. Contrairement à d’autres États européens, où l’empire apparaît comme une extension extérieure d’une nation déjà constituée, le Royaume-Uni est dès le départ le produit d’une dynamique impériale. La formation du royaume procède d’une série de conquêtes et d’incorporations qui relèvent d’une logique coloniale avant la lettre.

Dès le Moyen Âge, l’Angleterre entreprend des entreprises militaires qui posent les bases de cette logique. La conquête du pays de Galles est consolidée au XIIIᵉ siècle, suivie par la domination progressive sur l’Irlande, souvent présentée comme la première colonie anglaise. Ces territoires, intégrés de force à la couronne, deviennent des laboratoires de l’expansion impériale, marqués par des implantations de colons anglais et écossais, ainsi que par l’imposition de structures juridiques et culturelles venues de Londres. L’union avec l’Écosse en 1707 parachève ce processus : la constitution du Royaume-Uni est le résultat d’un enchaînement de conquêtes, d’annexions et d’unifications qui reposent sur un rapport de domination.

Ce caractère impérial se traduit par un phénomène d’anglicisation. La langue, les institutions et la culture politique anglaises s’imposent progressivement aux territoires conquis, au détriment de leurs spécificités locales. Cette dynamique fait du Royaume-Uni une entité composite, soudée moins par une homogénéité culturelle originelle que par la diffusion, parfois contrainte, du modèle anglais. De ce point de vue, il est légitime de parler d’une construction coloniale interne, où la nation britannique émerge comme le produit d’une expansion de type impérial.

L’histoire nationale britannique se développe ainsi dans un rapport permanent de projection extérieure. L’Empire d’outre-mer qui s’affirme à partir du XVIIᵉ siècle n’est pas une rupture, mais la continuité logique d’une expansion déjà fondée sur la conquête et l’incorporation. L’empire mondial prolonge une trajectoire commencée à proximité immédiate de l’Angleterre, transformant un processus de domination régionale en un système global. La Grande-Bretagne ne devient pas d’abord une nation avant de se doter d’un empire : elle se constitue comme nation à travers l’Empire, dans un mouvement où la domination impériale et la formation nationale sont inséparables.

L’Empire britannique en 1920

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, l’Empire britannique atteint son apogée territorial et démographique. Le Royaume-Uni lui-même compte environ 45 millions d’habitants regroupés sur 310 000 km², mais c’est dans l’Empire que se trouve la véritable mesure de sa puissance. L’espace impérial n’est pas homogène : il est composé d’une mosaïque de dominions, de colonies et de territoires sous mandat, régis par des statuts différenciés qui traduisent à la fois l’universalité et la hiérarchie du projet impérial.

Les dominions – Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Union sud-africaine, et Terre-Neuve – représentent à eux seuls près de 24 millions d’habitants, majoritairement blancs, installés sur 19 millions de km². Leur particularité réside dans leur autonomie institutionnelle : chacun dispose d’un parlement, d’un gouvernement et d’une large capacité de décision en matière intérieure. Toutefois, le lien avec Londres demeure essentiel, notamment en matière de politique étrangère et de défense. Les dominions sont perçus comme des prolongements de la métropole, cimentés par une culture politique et une loyauté dynastique communes, renforcées par leur participation massive à la guerre de 1914-1918.

À côté de ces territoires privilégiés, l’Empire comprend environ soixante colonies dépendantes, réparties sur plus de 8 millions de km². Le cas de l’Inde est emblématique : peuplée de 322 millions d’habitants pour une superficie de 5 millions de km², elle incarne le « joyau de la couronne ». Gouvernée directement par la couronne depuis 1858, l’Inde est à la fois une ressource économique majeure, un marché de débouchés et un pilier stratégique. Mais c’est aussi un espace traversé par des contestations croissantes : le mouvement nationaliste mené par Gandhi et le Congrès réclame déjà des réformes profondes, ce qui place Londres face à des tensions inédites.

Les traités de paix de 1919 renforcent encore l’assise impériale. La Société des Nations confie à la Grande-Bretagne plusieurs territoires sous mandat, notamment en Afrique centrale et au Proche-Orient. L’Irak, la Transjordanie et la Palestine deviennent ainsi des possessions administrées par Londres, mais censées évoluer vers l’indépendance sous surveillance internationale. Dans les faits, il s’agit de colonies déguisées, qui élargissent la sphère d’influence britannique dans une zone hautement stratégique, riche en ressources pétrolières et en voies de communication. L’Égypte, quant à elle, reste officiellement indépendante en 1922, mais demeure sous contrôle britannique par le biais de la présence militaire et du protectorat économique.

L’étendue de l’Empire donne au Royaume-Uni une dimension véritablement mondiale. La flotte britannique, déjà la plus puissante du monde au XIXᵉ siècle, continue d’assurer la maîtrise des mers. Les câbles télégraphiques posés dès les années 1860 relient Londres à toutes les grandes capitales impériales, garantissant une communication rapide et efficace. Ce réseau matériel et technique incarne la capacité britannique à gouverner à distance et à se projeter sur la scène mondiale. À cela s’ajoute un savoir-faire diplomatique acquis au fil des siècles, qui permet de gérer les équilibres entre possessions, protectorats et sphères d’influence.

Ce qui distingue l’expérience britannique, c’est que l’Empire est pleinement intégré à la culture nationale. Les expositions coloniales, la presse, les manuels scolaires, mais aussi les rituels politiques et militaires, mettent en avant la grandeur impériale comme élément constitutif de l’identité britannique. L’Empire n’est pas seulement un cadre de domination extérieure, il structure la manière dont les Britanniques se pensent eux-mêmes. Alors que la France connaît une séparation plus nette entre l’Hexagone et ses colonies, l’Empire britannique est conçu comme une prolongation de la nation, un espace familier et organique de la Britishness.

Dans les années 1920 et 1930, cette dimension impériale influence directement la nature du nationalisme britannique. Au lieu de se replier sur un discours centré uniquement sur la métropole, comme en France, le nationalisme britannique se projette vers l’extérieur. L’unité nationale se nourrit de la fierté d’appartenir à une puissance mondiale qui gouverne un quart de la planète. Ce cadre impérial sert de soupape contre les tensions sociales internes : il détourne une partie des frustrations vers une vision exaltée de la mission britannique dans le monde. La conscience impériale remplace en partie la tentation d’un nationalisme étroit et exclusif, ce qui explique la relative marginalité du fascisme anglais.

La questionde l’identité impériale

À la veille de la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni se pense comme une nation-empire. L’Empire n’est pas un simple prolongement extérieur de la puissance britannique : il constitue un élément constitutif de l’identité nationale, profondément intégré à la vie quotidienne, à l’imaginaire collectif et aux représentations culturelles.

Cette dimension est portée par un discours intellectuel et littéraire qui façonne les mentalités. En 1868, Charles Dilke popularise l’expression de Greater Britain, qui désigne non seulement le Royaume-Uni mais aussi l’ensemble des territoires dominions et colonies où s’affirme la culture anglaise. Rudyard Kipling, figure emblématique de l’esprit impérial, met en récit cette vision dans des œuvres comme Le Livre de la Jungle (1894-1895) ou Kim (1901). Il forge aussi des formules devenues proverbiales, comme celle du « fardeau de l’homme blanc » en 1899, qui exprime l’idée d’une mission civilisatrice de l’Empire. Ces représentations, largement diffusées, légitiment la domination coloniale et alimentent un patriotisme impérial partagé.

Parallèlement, des figures d’explorateurs et d’administrateurs coloniaux deviennent des héros populaires. David Livingstone, Cecil Rhodes ou le général Charles Gordon sont érigés en modèles d’abnégation et de courage. Leur vie est célébrée comme une source d’enseignement moral, incarnant la grandeur britannique projetée dans le monde. Dans l’éducation des jeunes garçons, ces personnages servent de figures d’identification, nourrissant un idéal viril et impérial qui alimente l’imaginaire collectif.

L’identité impériale s’exprime aussi à travers de grands événements de mise en scène. Les expositions universelles et coloniales offrent des vitrines spectaculaires de la puissance britannique et de son emprise mondiale. En 1851, la première grande exposition de Londres consacre l’idée d’un empire à la fois industriel et colonial. Celle de 1862 réunit déjà 31 colonies. La British Empire Exhibition de 1924-1925 à Wembley, visitée par des millions de personnes, illustre l’apogée de cette culture impériale : elle met en valeur la diversité des territoires, des produits et des peuples soumis à la couronne. Dans le même esprit, l’Exposition coloniale internationale de Paris en 1931, où l’Empire britannique tient une place centrale, témoigne de l’internationalisation de cette fascination coloniale. Ces événements renforcent l’idée que l’Empire est un prolongement naturel et organique de la nation.

Cette présence impériale ne se limite pas à des représentations culturelles ou à des cérémonies. Elle marque le quotidien des Britanniques. Les produits tropicaux – thé, riz, sucre, coton – arrivent en flux constants dans les ports et les villes, intégrant l’Empire dans les pratiques alimentaires et matérielles les plus banales. L’existence de l’Empire se retrouve dans la tasse de thé du matin, dans les étoffes portées, dans les denrées accessibles à tous les foyers. L’Empire est donc vécu, non seulement imaginé.

Il faut aussi souligner la circulation des hommes. Les Britanniques voyagent largement à l’intérieur de l’Empire, que ce soit pour l’administration, l’armée, le commerce ou l’éducation. Dans l’autre sens, des sujets coloniaux sont présents en métropole, ce qui familiarise encore davantage la société britannique avec son espace impérial. Cette interpénétration nourrit l’idée que la nation ne peut être réduite à la seule île mais qu’elle se définit dans son rapport au monde.

L’identité britannique de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècle est donc inséparable de l’identité impériale. La nation s’imagine à travers l’Empire, et l’Empire fournit à la nation ses symboles, ses héros et ses ressources matérielles. À la veille de la Première Guerre mondiale, le Royaume-Uni est devenu l’archétype d’une nation-empire, un modèle que d’autres puissances européennes – comme le Portugal – cherchent à imiter mais sans jamais atteindre la même ampleur. Dans les années 1920 et 1930, cette identité impériale reste un ciment fondamental : elle structure la cohésion intérieure et détourne le nationalisme de ses formes les plus exclusives pour le projeter vers une mission mondiale.

Le Commonwealth

L’entre-deux-guerres marque une étape essentielle dans la transformation de l’Empire britannique. Si le Royaume-Uni conserve l’apogée territorial de son empire après 1919, la structure interne de cet ensemble se modifie profondément. Les dominions, qui avaient déjà acquis une large autonomie au XIXᵉ siècle, sortent de la Première Guerre mondiale avec un statut renforcé, car ils ont contribué massivement à l’effort militaire et diplomatique. L’expérience des champs de bataille de la Somme, de Gallipoli ou de Passchendaele nourrit une conscience nationale distincte au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou en Afrique du Sud. Ces dominions entendent désormais affirmer leur autonomie politique tout en maintenant un lien de loyauté avec la Couronne.

Ce processus aboutit progressivement à la mise en place du Commonwealth. La Conférence impériale de 1926, tenue à Londres, adopte la célèbre « Déclaration Balfour », qui définit les dominions comme des « communautés autonomes au sein de l’Empire britannique, égales en statut, non subordonnées les unes aux autres, mais unies par une allégeance commune à la Couronne ». Cette formule consacre un tournant : l’Empire n’est plus seulement une structure hiérarchique dominée par Londres, mais une association de nations liées par une fidélité symbolique au roi.

Le Statut de Westminster de 1931 formalise ce changement. Il accorde aux dominions une pleine autonomie législative et juridique, leur permettant de ne plus être liés par les lois du Parlement de Westminster, sauf consentement explicite. Le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Union sud-africaine et l’État libre d’Irlande deviennent ainsi des membres souverains d’une communauté impériale transformée. Le terme de « Commonwealth britannique des nations » commence à s’imposer pour désigner cette nouvelle configuration.

Le Commonwealth représente un compromis entre continuité et adaptation. Du côté britannique, il permet de maintenir le prestige impérial et l’unité symbolique autour de la monarchie. Du côté des dominions, il offre la reconnaissance d’une autonomie pleine et entière, sans rupture brutale avec la métropole. Cette formule souple illustre le pragmatisme britannique dans la gestion de l’empire : plutôt que de s’accrocher à un modèle centralisateur impossible à maintenir, Londres accepte de redéfinir le lien impérial dans une logique de partenariat.

La création du Commonwealth reflète aussi la vitalité de l’identité impériale. Loin de marquer un recul, elle témoigne d’une capacité de l’Empire à se réinventer en intégrant la pluralité des expériences nationales. Les dominions se présentent à la fois comme des nations autonomes et comme des piliers d’une communauté impériale mondiale. Dans les années 1920 et 1930, cette nouvelle architecture institutionnelle donne au Royaume-Uni un rôle pivot : il reste le centre politique et diplomatique de l’ensemble, tout en partageant le prestige impérial avec des partenaires qui revendiquent leur propre place sur la scène internationale.

Ce modèle n’efface pas les tensions, notamment en Irlande où la partition de 1921 ouvre un cycle de crises, ou en Inde où le nationalisme réclame davantage qu’une autonomie partielle. Mais il illustre une spécificité majeure de l’expérience britannique : la capacité à inscrire l’Empire dans une trajectoire évolutive, où le lien impérial s’adapte aux exigences de souveraineté nationale. À travers le Commonwealth, l’identité britannique reste indissociable de l’idée d’un empire, mais elle s’exprime désormais dans un cadre politique pluraliste qui prépare les mutations de l’après-Seconde Guerre mondiale.

L’organisation du Commonwealth

La Première Guerre mondiale agit comme un catalyseur dans l’évolution des structures impériales britanniques. La participation massive des dominions à l’effort de guerre – qu’il s’agisse du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Union sud-africaine ou de Terre-Neuve – a consolidé leur conscience nationale et renforcé leurs revendications d’autonomie. Ils exigent désormais une reconnaissance politique à la mesure de leur contribution, tant sur le plan militaire que diplomatique. Le Royaume-Uni doit donc repenser son empire, non plus comme une construction strictement hiérarchique, mais comme une communauté d’États liés par une loyauté commune à la Couronne.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la Conférence impériale de 1926. Elle adopte les principes définis par le « rapport Balfour », qui constituent une première tentative de codification du statut des dominions. Le texte affirme que ceux-ci ne sont plus subordonnés au Royaume-Uni, mais qu’ils constituent des « communautés autonomes au sein de l’Empire britannique, égales en statut, unies par une allégeance commune à la Couronne ». Il s’agit là d’un tournant majeur : l’Empire cesse d’être une structure pyramidale pour devenir une association de nations.

Cette évolution est consacrée juridiquement par le Statut de Westminster en 1931. Ce texte, que l’on peut qualifier de véritable « constitution impériale », définit ce que l’on appelle désormais le Commonwealth britannique des nations. Les dominions obtiennent une pleine autonomie législative : aucune loi votée par le Parlement de Westminster ne s’applique plus chez eux sans leur consentement explicite. L’allégeance à la Couronne reste le lien symbolique, mais les relations se fondent désormais sur une base volontaire, marquée par l’égalité des statuts.

En pratique, deux statuts coexistent à l’intérieur du Commonwealth. Les dominions, d’une part, disposent d’institutions autonomes et d’une large indépendance, mais continuent de partager des liens culturels et économiques étroits avec la Grande-Bretagne : langue anglaise, monnaie alignée sur la livre sterling, préférence commerciale, et même symboles monarchiques comme la présence du souverain britannique sur les billets de banque canadiens. L’uniformité des modes de vie – cricket, thé, institutions parlementaires – renforce l’impression d’une communauté culturelle transnationale soudée par l’héritage britannique.

D’autre part, les colonies administrées directement continuent d’être gouvernées par Londres. Elles forment un ensemble très diversifié, allant de l’Inde à l’Afrique en passant par les Caraïbes. Mais même ici, des aménagements surprenants apparaissent. L’Inde, bien qu’elle reste une colonie, obtient dès 1918 une représentation à la Société des Nations et à l’Organisation internationale du travail. Londres pensait y trouver un instrument pour multiplier ses voix au sein des instances internationales. En réalité, ce dispositif s’avère décisif pour les élites indiennes : il leur offre un espace de reconnaissance, un lieu d’apprentissage diplomatique et administratif, et un tremplin pour l’affirmation du nationalisme indien. La SDN devient ainsi, paradoxalement, un incubateur du nationalisme, en fournissant aux leaders indiens un cadre d’expérience et de visibilité internationale.

Cette ambiguïté illustre la double nature du Commonwealth. Pour la Grande-Bretagne, il s’agit d’un outil pragmatique destiné à préserver l’unité impériale dans un monde en mutation et à défendre ses intérêts économiques. Pour les dominions, il constitue un cadre de reconnaissance internationale qui entérine leur souveraineté de fait. Pour certaines colonies comme l’Inde, il ouvre des brèches qui permettent de transformer une domination en opportunité politique. Le Commonwealth des années 1920 et 1930 est donc à la fois un instrument de puissance britannique et un lieu où s’élaborent de nouveaux nationalismes, appelés à redessiner la carte du monde après 1945.

Des intérêts communs ?

Le Commonwealth de l’entre-deux-guerres ne se limite pas à une structure politique ; il repose avant tout sur une solidarité économique, conçue pour servir les intérêts de la Grande-Bretagne. Dès les années 1920, un quart des importations britanniques provient de l’Empire, et plus de 40 % des exportations britanniques y sont dirigées. Le système fonctionne dans les deux sens : les dominions orientent entre 35 % et 80 % de leurs exportations vers la métropole, selon les cas, ce qui en fait des partenaires privilégiés. Le Canada, par exemple, exporte massivement ses céréales et ses matières premières vers le marché britannique, tandis que l’Australie et la Nouvelle-Zélande fournissent laine, viande et produits agricoles. En retour, ces territoires importent des produits manufacturés britanniques, renforçant le rôle de Londres comme centre industriel et financier de l’ensemble.

Ce système de complémentarité économique nourrit une interdépendance qui renforce l’unité impériale. Il repose sur la préférence impériale, qui favorise les échanges internes à l’Empire par des barrières tarifaires communes. Cette logique explique aussi la relation ambivalente de la Grande-Bretagne avec l’Europe continentale : pour Londres, le choix entre un ancrage européen et une fidélité au marché impérial reste constamment une question ouverte. L’entre-deux-guerres illustre cette hésitation structurelle, qui traversera toute l’histoire britannique jusqu’au XXIᵉ siècle.

Au-delà des échanges commerciaux, l’Empire constitue aussi un vaste réservoir humain. Les dominions et les colonies servent de débouchés pour l’excédent démographique britannique, et inversement, fournissent de la main-d’œuvre pour la métropole. L’Irlande reste le principal foyer d’immigration vers les îles britanniques, mais l’entre-deux-guerres voit également l’arrivée d’Asiatiques et d’Africains issus de l’Empire. La nationalité britannique leur est théoriquement accessible, ce qui distingue le Royaume-Uni de la France, dont la politique d’immigration est plus restrictive. Cette relative ouverture n’empêche pas la persistance de discriminations. Dans certains milieux professionnels, comme les dockers, la concurrence avec les travailleurs coloniaux suscite des tensions et des violences xénophobes. Les émeutes qui éclatent ponctuellement rappellent que l’unité impériale se heurte aux réalités sociales et raciales.

Cette solidarité économique et sociale se double de limites politiques. L’exemple de l’Inde est révélateur : tout en restant une colonie, elle obtient un siège à la Société des Nations et à l’Organisation internationale du travail, devenant un partenaire reconnu au sein des instances internationales. Loin de renforcer l’autorité britannique, cette ouverture favorise le développement d’un nationalisme indien structuré, qui utilise les organisations internationales comme tribune pour affirmer son autonomie politique. De manière similaire, l’Irlande illustre les fragilités du système. La partition de 1920 entraîne la création de l’État libre d’Irlande en 1922, intégré au Commonwealth mais jaloux de son indépendance. Dans les années 1930, Dublin s’éloigne progressivement de Londres, au point de choisir la neutralité lors de la Seconde Guerre mondiale, malgré les efforts britanniques pour obtenir son soutien.

Ces cas soulignent les paradoxes du Commonwealth. L’économie et les échanges renforcent un réseau d’interdépendances qui donne à la Grande-Bretagne une profondeur mondiale. Mais les tensions politiques, sociales et identitaires montrent que ce modèle n’est pas homogène. La solidarité impériale fonctionne dans la mesure où elle sert des intérêts partagés ; dès que les aspirations nationales divergent, comme en Inde ou en Irlande, le système se révèle fragile. Le Commonwealth des années 1920 et 1930 illustre ainsi à la fois la vitalité de l’unité impériale et les fissures qui annoncent sa transformation future.

La « question » d’Irlande après la partition de 1920

La question irlandaise constitue l’un des points de fracture majeurs de l’Empire britannique dans l’entre-deux-guerres. Longtemps colonisée et soumise à des politiques de domination foncière et culturelle, l’Irlande entre au XXᵉ siècle avec un puissant mouvement nationaliste qui revendique son indépendance. Après la Première Guerre mondiale, la tension culmine et aboutit à une partition qui marque durablement l’histoire politique de l’Europe occidentale.

L’origine juridique de cette partition réside dans le Government of Ireland Act, voté le 23 décembre 1920 par le Parlement de Westminster. La loi prévoit la création de deux entités distinctes : une Irlande du Sud composée de vingt-six comtés, et une Irlande du Nord issue du morcellement de l’Ulster, limitée à six comtés (Antrim, Armagh, Down, Fermanagh, Londonderry et Tyrone). Le choix de cette division répond moins aux aspirations des populations qu’aux calculs stratégiques de Londres. Les autorités britanniques souhaitent conserver une zone à majorité protestante d’origine écossaise et anglaise, mais cette zone n’étant pas économiquement viable, elles annexent des territoires largement peuplés d’Irlandais catholiques. Ce découpage arbitraire, entériné par l’accord frontalier du 3 décembre 1925, est décidé sans consultation réelle des populations concernées.

Au Sud, la guerre d’indépendance (1919-1921) débouche sur le traité anglo-irlandais et sur la naissance de l’État libre d’Irlande en 1922. Cette entité, initialement dominion au sein du Commonwealth, évolue rapidement vers une souveraineté quasi totale, jusqu’à la proclamation de la République en 1937. Au Nord, en revanche, le Government of Ireland Act institue un parlement autonome siégeant à Stormont, inauguré par le roi George V le 22 juin 1921. Mais cette autonomie est limitée : le pouvoir législatif demeure conjointement exercé par Westminster et le parlement de Belfast, et les décisions majeures restent subordonnées au contrôle de Londres.

Le régime nord-irlandais est dominé sans partage par le parti unioniste, favorable au maintien de l’union avec la Grande-Bretagne. Dès 1922, le Special Powers Act confère à l’exécutif des pouvoirs d’exception, officiellement temporaires mais rendus permanents en 1933. Ces mesures permettent des arrestations arbitraires, des restrictions de circulation et une surveillance accrue des populations catholiques. La domination protestante se traduit aussi par une politique de discrimination systématique : accès restreint à l’emploi, inégalités dans le logement, ségrégation scolaire et marginalisation politique. La population catholique irlandaise est ainsi transformée en « étrangers de l’intérieur », privés de droits égaux dans un cadre institutionnel qui les réduit à une minorité dominée.

Il est essentiel de rappeler que la question irlandaise doit être comprise dans une perspective coloniale. La conquête et la colonisation de l’Irlande, initiées dès le Moyen Âge par les grands féodaux anglais puis consolidées par les implantations écossaises, relèvent d’un processus de domination impériale interne. La revendication nationale irlandaise s’inscrit dans la logique des mouvements de libération coloniale : elle naît d’abord comme une demande d’autonomie portée par les colons protestants au XIXᵉ siècle, puis, après leur échec, elle est relayée par l’Église catholique, seule organisation capable d’encadrer les masses rurales. L’opposition catholiques/protestants, souvent présentée comme originelle, est en réalité la forme politique prise par un affrontement d’abord colonial et social. Ce n’est que dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle que la dimension culturelle – celtisme, défense de la langue irlandaise – vient enrichir ce nationalisme de libération.

L’entre-deux-guerres consacre donc une situation profondément instable. Au Sud, l’Irlande indépendante affirme son autonomie et s’éloigne progressivement du Commonwealth. Au Nord, la domination unioniste impose un régime quasi autoritaire, où une population autochtone majoritaire dans certains comtés se voit traitée comme une minorité coloniale à l’intérieur même du Royaume-Uni. Cette dualité fragilise le discours britannique d’un empire démocratique et harmonieux. Alors que Londres se présente comme un rempart contre les extrêmes en Europe, la politique appliquée en Irlande du Nord s’apparente aux pratiques répressives des régimes autoritaires du continent.

La « question d’Irlande » révèle ainsi les limites du nationalisme britannique et du modèle impérial. Elle montre que la stabilité relative de la Grande-Bretagne dans l’entre-deux-guerres s’accompagne d’une violence coloniale persistante, déplacée de la périphérie extérieure de l’Empire vers une périphérie interne. Cette fracture annonce les conflits qui marqueront l’Irlande du Nord tout au long du XXᵉ siècle et nuance l’image d’une démocratie britannique imperméable aux tensions identitaires et xénophobes.

La France entre nationalisme et xénophobie

Dans l’entre-deux-guerres, le nationalisme français présente des traits très différents de celui observé en Grande-Bretagne. Alors que l’identité britannique s’appuie largement sur l’Empire et sur la projection impériale, l’identité française demeure centrée sur l’Hexagone. Bien que la France dispose du deuxième empire colonial du monde, avec de vastes territoires en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, en Indochine et au Levant (Syrie et Liban sous mandat après 1920), celui-ci occupe une place secondaire dans la définition du nationalisme. La nation française continue de se penser d’abord à travers son territoire métropolitain, son histoire et la mémoire de la Grande Guerre.

Deux formes principales structurent ce nationalisme : le développement de l’extrême droite politique et la montée de la xénophobie dirigée contre les populations étrangères installées en France. Ces deux dimensions ne sont pas indépendantes ; elles s’alimentent mutuellement dans un contexte marqué par les séquelles du conflit de 1914-1918 et par les crises économiques et sociales des années 1920 et 1930.

Le traumatisme de la guerre joue un rôle fondateur. La perte d’1,4 million de soldats et le souvenir des combats créent une atmosphère de deuil et de vulnérabilité. L’idée d’une « France saignée » alimente la peur du déclin démographique et le besoin de préserver une identité nationale menacée. Cette crispation se traduit par une insistance sur les « racines » françaises et sur le lien étroit entre nation et territoire. La patrie n’est pas conçue comme une projection mondiale – contrairement au modèle britannique – mais comme un espace intérieur qu’il s’agit de protéger des influences extérieures.

Dans ce climat, l’extrême droite se renforce. Des mouvements comme l’Action française, avec Charles Maurras, développent un nationalisme autoritaire, traditionaliste et antiparlementaire, qui exalte la nation « organique » contre la République jugée faible et cosmopolite. D’autres ligues, comme les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque, mobilisent d’anciens combattants et se présentent comme les défenseurs de l’ordre social face à la menace communiste. La France voit se multiplier des organisations nationalistes qui, sans accéder directement au pouvoir, exercent une forte influence sur la vie politique et alimentent la polarisation idéologique.

En parallèle, la xénophobie se développe à l’égard des populations étrangères. La France accueille dans l’entre-deux-guerres un grand nombre d’immigrés pour compenser les pertes démographiques et répondre aux besoins de main-d’œuvre de l’industrie et de l’agriculture. Italiens, Polonais, Espagnols, Belges et, dans une moindre mesure, travailleurs coloniaux viennent s’installer en France. En 1931, près de 7 % de la population française est composée d’étrangers, un chiffre sans précédent. Loin de provoquer une intégration harmonieuse, cette immigration devient un terrain de tensions : les étrangers sont accusés de prendre le travail des Français et de menacer la cohésion nationale. Les discours politiques et médiatiques diffusent des stéréotypes hostiles, et les violences xénophobes se multiplient, notamment lors des crises économiques.

Le nationalisme français de l’entre-deux-guerres se définit donc moins par une exaltation impériale que par une logique de repli et d’exclusion. Les discours nationalistes trouvent leur énergie dans la peur de l’étranger et dans la dénonciation des divisions intérieures. Cette orientation donne au nationalisme français un visage particulier, marqué par la radicalisation idéologique et par une crispation identitaire tournée vers la défense du territoire et de la citoyenneté nationale.

L’extrême droite, un phénomène européen

Dans l’entre-deux-guerres, l’extrême droite s’impose comme un phénomène politique d’ampleur européenne. Partout, les séquelles de la Première Guerre mondiale, la peur du déclin et l’instabilité économique nourrissent des discours nationalistes radicaux. Ces mouvements ne se limitent pas aux régimes fascistes d’Italie ou d’Allemagne : ils irriguent l’ensemble du continent et exercent une influence significative, y compris dans les pays où la démocratie parlementaire se maintient.

La centralité de la nation constitue le cœur de leur argumentaire. Les mouvements d’extrême droite exaltent la communauté nationale perçue comme menacée, valorisent une identité « authentique » à défendre et construisent des oppositions binaires entre les nationaux et les « autres ». Mais cette rhétorique prend des formes variées selon les contextes : en Allemagne, elle s’articule à l’obsession du Volksgemeinschaft et de la revanche sur Versailles ; en Italie, elle s’ancre dans le mythe de la Rome antique et dans l’idée d’une régénération nationale par l’action collective ; en France, elle s’appuie sur la mémoire de 14-18 et sur le rejet des étrangers accusés d’aggraver la crise économique ; en Grande-Bretagne, elle reste marginale mais adopte les mêmes codes esthétiques et rhétoriques que ses homologues continentaux.

Même lorsqu’elle n’accède pas au pouvoir, l’extrême droite parvient à influencer les débats publics. Ses thèmes – défense de l’identité nationale, dénonciation des élites « cosmopolites », rejet de l’immigration, peur du communisme – trouvent un écho bien au-delà de ses rangs. Dans les démocraties occidentales, elle contraint les partis traditionnels à reprendre une partie de ce vocabulaire, contribuant à déplacer l’agenda politique. En France, par exemple, les discours sur l’immigration et la « protection des travailleurs nationaux » se diffusent largement dans les années 1930, alors même que les ligues d’extrême droite n’ont pas conquis le pouvoir.

Cette dimension européenne rappelle que le nationalisme radical n’est pas seulement une réponse aux réalités intérieures de chaque pays, mais aussi le produit de dynamiques communes : traumatisme de la guerre, angoisse face au chômage et à la crise économique, crainte de la révolution communiste et volonté de préserver la cohésion sociale autour de la nation. L’extrême droite devient l’une des expressions les plus visibles de cette tension entre démocratie et autoritarisme qui traverse toute l’Europe de l’entre-deux-guerres.

Le développement de l’extrême droite depuis la fin du XIXᵉ siècle

L’extrême droite européenne plonge ses racines dans la fin du XIXᵉ siècle, dans un contexte marqué par la consolidation des régimes parlementaires, la montée du socialisme et la crise des sociétés industrielles. En France, qui reste un pays républicain après la défaite de 1870 et la Commune de Paris, ce courant se cristallise très tôt autour de mouvements nationalistes et antidémocratiques que l’on regroupe sous le terme de ligues. Ces organisations associent une rhétorique nationaliste radicale à des pratiques de mobilisation de masse et à un usage récurrent de la violence politique.

L’Action française, fondée en 1898 autour d’une revue intellectuelle, devient rapidement la principale force structurante de ce courant. Sous l’impulsion de Charles Maurras, elle développe une doctrine monarchiste, nationaliste et antisémite, qui connaît un large succès à partir de 1905. Elle dispose de relais militants, les Camelots du roi, véritables milices paramilitaires équipées de cannes ferrées, qui assurent le service d’ordre, perturbent les réunions adverses et affrontent les forces de gauche. Cette structuration donne à l’Action française une capacité d’action directe qui dépasse largement le cadre des débats d’idées.

L’influence de ces ligues dépasse les frontières françaises. Le modèle maurrassien inspire des mouvements en Belgique, où Léon Degrelle fonde le Rexisme, et en Suisse romande, où l’avocat Marcel Regamey crée en 1926 le mouvement Ordre et Tradition, bientôt connu comme la Ligue vaudoise, dont les Cahiers de la Renaissance vaudoise diffusent les thématiques d’extrême droite. L’extrême droite française joue ainsi un rôle pionnier dans la circulation transnationale des idéologies nationalistes autoritaires.

Les années 1920 et 1930 voient se multiplier ces organisations. En France, plusieurs ligues rivalisent pour incarner le nationalisme radical. La Ligue des patriotes, qui s’était déjà illustrée sous la IIIᵉ République, dispose de ses propres milices étudiantes, les Phalanges universitaires, et entre en confrontation violente avec les communistes, comme lors des affrontements de 1925 qui font plusieurs morts. D’autres groupuscules se structurent, dont la Cagoule, organisation clandestine qui, au début des années 1930, adopte une stratégie de terreur et tisse des liens avec l’Italie fasciste.

Le phénomène ne se limite pas à des milices de rue. Dès le début des années 1930, une volonté de parlementariser l’extrême droite se manifeste. Le Mouvement des Croix-de-Feu, fondé en 1931 par le colonel de La Rocque, rassemble d’anciens combattants et connaît un essor rapide. Devenu en 1935 le Parti social français, il revendique près de 60 000 membres et obtient une vingtaine de députés en 1936. À la même époque, Jacques Doriot, ancien communiste, fonde le 28 juin 1936 le Parti populaire français (PPF), qui incarne une tentative d’adaptation du modèle fasciste à la vie parlementaire française.

Les ligues demeurent néanmoins profondément liées à la violence politique. Le 6 février 1934, une manifestation organisée par les ligues d’extrême droite devant la Chambre des députés se transforme en émeute. Elle provoque la chute du gouvernement Daladier et illustre la capacité de ces organisations à peser directement sur le cours de la vie politique, en s’appuyant sur des mobilisations de masse et sur un climat de crise.

Le développement de l’extrême droite depuis la fin du XIXᵉ siècle montre donc une double dynamique. D’un côté, la prolifération de groupes paramilitaires et de ligues qui cherchent à s’imposer par la rue, dans un climat de violence idéologique. De l’autre, la volonté croissante de certains mouvements de se transformer en partis politiques pour peser sur le parlementarisme, à l’image du PPF ou du Parti social français. Cette articulation entre action violente et action institutionnelle donne à l’extrême droite de l’entre-deux-guerres une place centrale dans les recompositions politiques européennes, même lorsqu’elle ne parvient pas à accéder directement au pouvoir.

Les thèmes communs du nationalisme d’extrême droite (en France et dans les démocraties occidentales)

Le nationalisme d’extrême droite dans l’entre-deux-guerres, qu’il s’exprime en France, en Belgique, en Suisse, en Italie, en Allemagne ou encore en Grande-Bretagne, repose sur un socle doctrinal commun qui dépasse les frontières nationales. Sa force ne réside pas uniquement dans la conquête directe du pouvoir – qui reste minoritaire dans les démocraties parlementaires – mais dans sa capacité à imposer ses thèmes et à réorienter le débat politique.

Le premier de ces thèmes est l’unité nationale, conçue comme le principe absolu qui structure l’ensemble du discours. La nation est pensée comme un corps organique, indivisible et homogène, où chaque membre est lié aux autres par un ordre naturel. Cette conception s’oppose radicalement à la définition contractuelle de la nation telle qu’énoncée par Ernest Renan en 1882 dans son célèbre discours sur le « plébiscite de tous les jours ». Pour les nationalistes d’extrême droite, on n’entre pas dans la nation par choix ; on y appartient parce que l’histoire, la culture et le sang imposent cette appartenance. L’individu ne décide pas de son intégration, il est d’emblée assigné à une communauté qu’il ne peut quitter.

L’unité nationale implique le rejet de toute vision de la nation comme espace de conflit. Les divisions politiques et sociales sont perçues comme des menaces mortelles pour le corps national. Le parlementarisme, lieu par excellence de l’expression des divergences, est dénoncé comme un ferment de désunion. D’où la dimension antiparlementaire récurrente des mouvements d’extrême droite, qui ne s’exprime pas toujours dans le rejet explicite des institutions, mais dans la conviction que le parlement fragmente l’unité du peuple.

Les clivages sociaux, de même, doivent être niés ou transcendés. Pour les extrêmes droites, il n’y a pas de lutte des classes au sein de la nation : toute tentative de diviser le peuple par des catégories sociales est assimilée à une manipulation des partis socialistes et communistes visant à dissoudre la communauté nationale. À l’idéal marxiste de la lutte des classes s’oppose une vision corporatiste, où les classes sociales ne s’affrontent pas mais coopèrent au service de l’intérêt national. La réconciliation des travailleurs et des élites autour de l’amour de la patrie devient un élément central du discours. La nation est présentée comme l’espace de la concorde sociale, face à des idéologies perçues comme destructrices.

De cette logique découle un autre thème fondamental : la désignation des ennemis de l’unité nationale. Les extrêmes droites identifient des figures de division à combattre : les partis de gauche, accusés de trahir la patrie en prônant la lutte sociale ; le parlement, vu comme une machine à affaiblir l’État ; et enfin les étrangers, définis non seulement par leur absence de citoyenneté, mais aussi par des critères identitaires et culturels. La xénophobie occupe une place structurante dans ces idéologies. Elle ne se limite pas à la méfiance envers les immigrés récents : elle redessine les contours mêmes du corps national. Certaines populations, pourtant pleinement citoyennes, comme les Juifs en France, sont ainsi définies comme des « étrangers de l’intérieur ». Le nationalisme radical se donne le pouvoir de décider qui appartient réellement à la nation et qui en est exclu, indépendamment des droits juridiques.

Cette logique atteint un point de tension particulier dans les années 1930, avec la montée des extrêmes et la crise économique mondiale. Le Front populaire, formé en 1936, incarne pour l’extrême droite française l’ennemi par excellence : un gouvernement dirigé par Léon Blum, premier président du Conseil socialiste de la République française et de surcroît juif, allié au communiste Maurice Thorez. Dans le discours nationaliste, ce gouvernement symbolise la menace de division et de dissolution de l’unité nationale. Les campagnes de haine contre Blum révèlent l’ampleur de l’antisémitisme et de l’hostilité à la démocratie parlementaire dans les milieux d’extrême droite.

La xénophobie, enfin, prend un relief particulier dans les démocraties de l’entre-deux-guerres, notamment en France où l’immigration atteint un niveau inédit. Avec près de 7 % d’étrangers en 1931, la France est le pays d’Europe qui accueille le plus d’immigrés, venus d’Italie, de Pologne, d’Espagne, de Belgique et, dans une moindre mesure, des colonies. Cette immigration, justifiée par les besoins de reconstruction et de main-d’œuvre, devient un terrain de tension majeur. Les nationalistes d’extrême droite transforment les travailleurs étrangers en boucs émissaires, accusés de prendre l’emploi des Français et d’altérer l’identité nationale. Ce discours trouve un écho dans une société marquée par le chômage et la peur du déclin.

Le nationalisme d’extrême droite se définit donc par un ensemble cohérent de thèmes communs : exaltation de l’unité nationale organique, rejet des divisions politiques et sociales, antiparlementarisme, corporatisme social, désignation d’ennemis intérieurs et extérieurs, et enfin xénophobie systématique. Ces éléments traversent l’ensemble de l’Europe de l’entre-deux-guerres et, bien que modulés par les contextes nationaux, ils donnent aux extrêmes droites une force d’influence considérable dans un continent en proie à la crise.

L’immigration en France

L’entre-deux-guerres constitue une période décisive pour l’histoire de l’immigration en France. Le pays, durement éprouvé par la Première Guerre mondiale, sort affaibli démographiquement : près d’1,4 million de morts, des millions de blessés et mutilés, une natalité en berne. Cette situation alimente la crainte d’un déclin démographique et justifie le recours massif à une main-d’œuvre étrangère pour reconstruire le pays et relancer l’économie.

Dès les années 1920, la France devient ainsi la première terre d’immigration en Europe. En 1931, les étrangers représentent environ 7 % de la population totale, soit près de trois millions de personnes, un chiffre sans précédent dans l’histoire nationale. Les Italiens forment le groupe le plus nombreux, suivis par les Polonais, installés dans les régions minières du Nord et de l’Est. Viennent ensuite les Espagnols, les Belges et, dans une moindre mesure, des travailleurs coloniaux originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et d’Indochine. Cette diversité témoigne de la transformation profonde de la société française, désormais confrontée à une pluralité de cultures et de langues sur son sol.

L’immigration est d’abord perçue comme une nécessité économique. Les travailleurs étrangers participent à la reconstruction des régions dévastées, s’emploient massivement dans les mines, les usines et l’agriculture, et contribuent au redémarrage industriel. Le patronat, soutenu par l’État, organise même le recrutement collectif, en particulier de main-d’œuvre polonaise et italienne, pour faire face à la pénurie de bras. Mais cette fonction économique de l’immigration ne suffit pas à dissiper les tensions.

Très vite, l’étranger devient un objet de suspicion. Dans les années de prospérité relative, son rôle peut être toléré, mais dès que la conjoncture se détériore, comme après la crise de 1929, il est désigné comme un concurrent direct des travailleurs français. Le chômage de masse qui frappe la France dans les années 1930 exacerbe ce ressentiment. Les étrangers sont accusés de « voler » le travail des nationaux, d’exercer une pression à la baisse sur les salaires, et d’affaiblir la cohésion nationale. Les violences xénophobes se multiplient, notamment dans les bassins industriels, où les ouvriers étrangers sont parfois attaqués ou expulsés de leurs logements.

Cette hostilité se traduit aussi par des mesures politiques. L’État adopte des lois restrictives sur l’immigration, impose des quotas ou procède à des expulsions massives en période de crise. L’étranger, bien qu’il contribue activement à la vie économique du pays, est maintenu dans une position précaire et toujours susceptible d’être renvoyé. La République française, qui proclame l’égalité civique, ménage difficilement une place stable à ceux qui n’entrent pas dans le corps national défini par la citoyenneté.

La xénophobie se double d’un racisme colonial. Les travailleurs originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, bien que juridiquement intégrés à l’empire français, subissent une discrimination encore plus marquée. Dans les villes portuaires comme Marseille, les émeutes raciales visent souvent ces populations, accusées de menacer l’ordre social et d’introduire une « altérité » jugée incompatible avec l’identité française.

L’immigration en France dans l’entre-deux-guerres révèle donc une tension fondamentale : d’un côté, un besoin structurel de main-d’œuvre étrangère pour soutenir l’économie et compenser les pertes démographiques ; de l’autre, une incapacité à intégrer pleinement ces populations dans le récit national. Cette contradiction alimente la xénophobie et nourrit le discours de l’extrême droite, qui fait de l’étranger un bouc émissaire dans un contexte de crise. Le nationalisme français de cette période se forge ainsi autant contre les ennemis extérieurs que contre des populations installées à l’intérieur des frontières, dont l’existence même met en question la définition de l’identité nationale.

Son importance numérique

La France de l’entre-deux-guerres est le premier pays d’immigration au monde, devant même les États-Unis dans la décennie 1920. Ce statut résulte d’une situation démographique particulière : depuis la fin du XIXᵉ siècle, la natalité française est exceptionnellement faible en comparaison des autres puissances européennes. Le ralentissement de la croissance démographique, aggravé par les pertes massives de la Première Guerre mondiale (près de 1,4 million de morts), rend indispensable le recours à une main-d’œuvre étrangère pour soutenir l’effort de reconstruction et alimenter l’industrialisation.

Les chiffres témoignent de cette place centrale de l’immigration. En 1921, la France compte 1,55 million d’étrangers, soit environ 3,9 % de la population totale. Dix ans plus tard, en 1931, ce chiffre atteint 2,89 millions, représentant 7 % de la population française. Ces proportions sont d’autant plus significatives qu’à l’époque, l’accès à la citoyenneté française est relativement aisé. De nombreux immigrés de première génération obtiennent rapidement la naturalisation, ce qui signifie que les statistiques officielles sous-estiment en réalité le poids de l’immigration dans la société française. Derrière les 7 % d’étrangers recensés en 1931, il faut compter des centaines de milliers de nouveaux Français d’origine étrangère, dont les enfants sont désormais considérés comme pleinement français.

L’origine géographique de cette immigration illustre la dimension essentiellement européenne des flux. Dans l’entre-deux-guerres, 90 % des immigrés en France proviennent d’Europe, et pour une large part de pays voisins. Avant 1914, près de 80 % des étrangers venaient de pays limitrophes, une proportion qui reste encore de 55 % en 1939. Les Italiens forment la plus grande communauté étrangère : ils représentent environ 30 % des immigrés en 1930, avec des implantations particulièrement fortes dans le sud et l’est du pays. Viennent ensuite les Polonais, recrutés en masse pour travailler dans les mines du Nord et de Lorraine, puis les Espagnols, les Belges, les Suisses et les Allemands. L’immigration coloniale reste minoritaire, bien qu’en croissance dans les années 1930, avec l’arrivée de travailleurs maghrébins, notamment algériens, pour l’industrie et les grands travaux.

La répartition spatiale des immigrés reflète ces logiques économiques et géographiques. Dans le Nord, la présence belge est massive, tandis que dans le Midi, les Italiens s’installent dans l’agriculture et les travaux publics. Contrairement aux idées reçues, la proximité culturelle ou linguistique ne favorise pas nécessairement l’intégration. Dans les bassins miniers du Nord, des mouvements hostiles visent les ouvriers belges, pourtant francophones ; dans le Midi, les Italiens sont la cible de violences et de campagnes xénophobes, notamment autour de Montpellier. La xénophobie ne découle donc pas d’un éloignement culturel, mais avant tout de la concurrence sur le marché du travail et de la perception que les immigrés prennent l’emploi des Français.

Cette dynamique se renforce dans les périodes de crise. Les années 1920 voient une relative tolérance, car la reconstruction et l’expansion industrielle nécessitent une main-d’œuvre abondante. Mais avec la Grande Dépression à partir de 1929, la situation se tend brutalement. Le chômage massif réactive les discours hostiles aux étrangers, accusés de voler le travail des nationaux et d’aggraver la misère sociale. L’État français réagit par des politiques de restriction et d’expulsion, visant à réduire la présence étrangère sur le territoire.

L’immigration dans l’entre-deux-guerres occupe donc une place majeure dans la société française. Elle est à la fois indispensable à l’économie et perçue comme un facteur de désordre social et identitaire. Son importance numérique, inédite dans l’histoire nationale, contribue à faire de l’étranger un enjeu politique central, instrumentalisé par les mouvements nationalistes et d’extrême droite, mais aussi discuté au sein de la République parlementaire, dans un climat de crispation identitaire et de peur du déclin.

Les politiques d’immigration

La Première Guerre mondiale bouleverse en profondeur la démographie française. Les pertes sont immenses : environ 1,3 million de morts, souvent des hommes jeunes, auxquels s’ajoutent des millions de blessés et mutilés. La société sort fragilisée, avec une natalité déjà faible et un déséquilibre durable entre les besoins de main-d’œuvre et les ressources nationales. Pour reconstruire le pays et soutenir son industrialisation, l’appel à une immigration de masse devient une nécessité stratégique.

Dès 1924, les organisations patronales prennent l’initiative. Elles fondent la Société générale d’immigration, véritable organisme de recrutement international, chargé d’organiser l’arrivée de travailleurs étrangers. Ce rôle du patronat est décisif : ce sont les entreprises qui sollicitent la venue de main-d’œuvre étrangère, en fonction de leurs besoins sectoriels, et qui structurent les filières migratoires. La logique est pragmatique : importer des travailleurs déjà adultes permet de disposer immédiatement d’une main-d’œuvre qualifiée ou non qualifiée, sans avoir à financer leur éducation et leur formation initiale.

L’État, de son côté, assume de plus en plus un rôle moteur. Pour la première fois, il met en place un véritable office public de l’immigration, qui centralise et encadre les flux. La politique migratoire n’est plus seulement le résultat d’initiatives privées, mais un instrument assumé de reconstruction nationale. Cette orientation se traduit par une réforme majeure du droit de la nationalité : la loi du 10 août 1927. Elle réduit de dix à trois ans la durée de résidence exigée pour obtenir la naturalisation. Cette mesure est particulièrement généreuse par rapport aux autres pays européens, et elle a un effet immédiat : le nombre de naturalisations double dès l’année suivante. La France ne se contente pas de faire venir des immigrés, elle favorise aussi leur intégration juridique, dans un contexte de déficit démographique aigu.

L’impact économique de cette immigration est considérable. Les chiffres illustrent la dépendance croissante de certains secteurs : 37 % des travailleurs des industries du bâtiment sont des immigrés ; 48 % dans les industries extractives, en particulier les mines de charbon, où les Polonais recrutés depuis l’Allemagne forment une main-d’œuvre massive ; jusqu’à 70 % dans les mines de fer, où la présence étrangère est dominante. Globalement, trois quarts des immigrés sont actifs, contre deux tiers seulement des Français. Cette différence s’explique par le fait que la population immigrée est majoritairement adulte et masculine, concentrée dans les métiers pénibles et faiblement qualifiés que les nationaux répugnent à occuper.

La composition de ces flux reste essentiellement européenne. La grande majorité des immigrés proviennent des pays voisins : Italie, Belgique, Espagne, Suisse, Allemagne, et surtout Pologne, dont les mineurs sont massivement recrutés dans le Nord et l’Est. L’immigration coloniale, contrairement au cas britannique, reste marginale à cette époque, même si l’on observe déjà la présence de travailleurs maghrébins, en particulier algériens, employés dans l’industrie et les grands travaux. La France reste donc, dans l’entre-deux-guerres, un pays d’immigration européenne plus que coloniale.

Cette politique d’immigration répond à une double logique. D’une part, elle vise à combler un déficit démographique structurel en intégrant rapidement les étrangers par la naturalisation. D’autre part, elle permet de disposer d’une main-d’œuvre immédiatement opérationnelle, concentrée dans les secteurs les plus pénibles et exposés. Ce système renforce la dépendance de l’économie française à l’égard des travailleurs étrangers, tout en nourrissant une tension permanente : les mêmes étrangers indispensables à l’économie deviennent, en période de crise, des concurrents sur le marché du travail et des boucs émissaires désignés.

LA FRANCE XÉNOPHOBE

Face à cette immigration, à partir du moment où on a des crises économiques des réactions xénophobes (surtout dans les années 30).

Les thèmes de la Xénophobie

  • « gang des polonais en 1924.
  • Loi Naquet de 1884(Alfred Naquet 1834-1916)
  • Léon Blum (1872-1950) sur le mariage (1907)
  • Xavier Vallat (1891-1972)
  • Le statut juif du 18 octobre 1940
  • La xénophobie sanitaire: l’idée que les étrangers sontplus malades que les français. Et que surtout, ils représentent un risqued’épidémiques particulièrement important. Cela se focalise sur deuxmaladies : la syphilis et la tuberculose.

Il y avait des enquêtes del’académie de médecine qui essayait de montrer comment les ces populations étrangèresreprésentaient un risque sanitaire important et comment les cantonner dans uncertain nombre de lieu etc En revanche il n’y a aucune interrogation sur lesmaladies professionnelle spécifique qui résulte du travail dangereux desimmigrés. L’idée qu’en fait cette populationest surreprésentée pour certaines maladies (maladies pulmonaire typiquement) dufait qu’ils effectuent des travaux dans les mines, ca c’est une chose qui n’estpas thématisé à l’époque.

  • L’opinion,partagée par l’extrême droite, sur le caractère particulièrement criminel des étrangers. Si on regarde les chiffres on peut dire que les immigrés sont légèrement sur représentent parmi les populations qui ont affaire à la police mais c’est lié à la composition de cette population (qui est essentiellement masculine et adulte adulte).

Tout ceci donne lieu à un certain nombre de fantasme sur le gang polonais en 1924, donc des gens qui seraient naturellement plus dangereux que d’autres. Ce qui est intéressant, c’est que d’abord, on a une mise en place de discours dans certain milieu d’extrême droite, mais ensuite ca se repend dans l’ensemble de la population avec des croyances partagées.

  • Les thèmes de l’antisémitisme à l’époque, les grands thèmes sont que les juifs constituent une espèce internationale qui participe souterrain à la destruction des états nationaux,donc l’idée de « juif cosmopolite ». C’est un thème classique du nationalisme. Avec d’autres reproches ; celui d’être favorables à des mœurs qui seraient contradictoire avec celles des sociétés chrétiennes celas’appui sur le fait que Léon Blum a écrit en 1907 un livre sur le mariage où ilprône l’union libre. Pour les nationalistes c’était un juif dépravé.

Ce qui est assezintéressant, c’est que au moment où le gouvernement Vichy édicte le statue desJuif de 18 Octobre 1940, qui se base sur l'argumentation que les juifs sonthostiles et décomposant pour l’identité nationale pour la nation.

Les crises Xénophobes

  • Jean Giraudoux (1882-1944) avec Les pleins pouvoirs en 1939
  • 1933 Seuls les Français peuvent exercer la médecine
  • 1934 les avocats font voter une loi écartant les naturalisés de leur profession (durant 10 ans)
  • 1927- Vote d'une loi permettant l'extradition des étrangers.
  • 1931- La crise économique internationale frappe la France, des dispositions sont prises pour ralentir l'entrée des travailleurs étrangers.
  • 10 août 1932- Une nouvelle loi accorde priorité du travail à l'ouvrier français dans l'industrie en instaurant des quotasd'ouvriers étrangers dans les entreprises..
  • 1933 Seuls les Français peuvent exercer la médecine

Cela donne lieu a des ces crises xénophobes qui sont toujours lié à des moments de crise économiques. Exemple : la crise de 1924 avec le développement du chômage et dans ce moment on a des incidents qui opposent les ouvriers français et les ouvriers étrangers qui apparaît dans la région parisienne. C'est au moment de la grande crise d’économique de 1930 qu’on assiste au paradoxisme de xénophobie à l’égard des étrangers. Ce paradoxisme de xénophobie à l’égard des étrangers est thématisé par l’extrême droite mais reprise par un certain lobby professionnel. Accuser les étrangers d’être responsable pour la crise, c’est une manière de penser les problèmes économiques qui sont très caractéristique de l’extrême droit de penser l’ennemi à l’intérieure du pays : mais d’un autre c’est une façon simple de trouver des responsablesà la crise, c’est donc facilement repris, cela marche dans tout les paysdémocratiques à toutes les époques. C’est un argument qui il est reprisrelativement facilement comme un argument générale. C’est normalement l’extrêmedroit qui thématise ces thèmes et cette articulation « crise-étrangers ».

Dans les années 30 on a une reprise de ces thématiquespar toute sorte de lobby professionnelle (ces lobby professionnelle sontgénéralement les médecins et les avocats) y compris les milieux cultivés. A cet égard il y a toujours deux professions qui sonthyper protectionniste : - Les médecins et - les avocats. Ce sont des professions que vous ne suspectez pas àpriori. Ce sont des gens qui s’occupent des autres. Or ils étaient hyperprotectionniste dans les années 30 en France et d’ailleurs aussi(allemand : presque 99% pourcent des médecins était membres du partinazi).

Tout ça a donné lieu à un certains nombre de lois àpartir de 1930. - Dès1932 on a une loi qui accorde la priorité du travail à l'ouvrier français (dansl'industrie) en instaurant des quotas d'ouvriers étrangers dans lesentreprises. - Maisaussi des lois qui -comme en 1933- font que seuls les Français peuvent exercerla médecine. - Eten 1934, les avocats vont voter une loi qui écarte les naturalisés, il nes'agit même pas d’étrangers. Il s'agit des naturalisés, donc des françaises,mais des françaises qui avaient récemment naturalisé (dans les derniers 10 ans)qui ne peuvent pas exercer la professionavocat.

Donc on voit qu'il y a des réactions protectionnistesextrêmement fortes dans les périodes de crises économiques avec accusations queles étrangers soient responsables pour la crise économique.

Conclusion

Pour conclure, on peut dire qu’au fond, c’est vrai que les grand pays démocratique (GB, France)résistent en fait à la pression d'un nationalisme d’extrême droite, elles arrivent à trouver d’une certaine manière dans la tradition démocratique et aussi dans la mobilisation de certaine catégorie de la population, des formes de résistance à un nationalisme extrême.

Néanmoins, ce qui est clair, est que la xénophobie est un phénomène extrêmement important dans les démocraties en fin des années 30. Il ne faut pas croire que parce que ces pays restent des démocraties ils ne sont pas travaillés par les nationalismes de type exclusif, de nationalisme de type organsiciste.


Annexes

Références